vendredi 18 mars 2011

J’parle tout seul quand Jean Narrache

CODERRE, Émile (pseudo. Jean Narrache). Quand j’parle tout seul, Éditions de l’Homme, Montréal, 1961, 143 p
Dans le Québec des années 1930, dans un contexte de quasi-traumatisme dû à la crise économique, Émile Coderre (1893 - 1970) publie le recueil de poèmes Quand j’parle tout seul (1932) sous le pseudonyme de Jean Narrache, un nom qui reflète et intègre la misère monétaire et sociale, montrant par là qu’il prend parti pour les démunis, les non-instruits, les solitaires, ceux qui sont exploités par les profiteurs de la bourgeoisie anglaise, juïve et canadienne-française...

Le paysage que brosse Jean Narrache dans ce recueil est urbain : il décrit la vie des petites gens aux prises avec la pauvreté de la ville — sans jamais montrer ni condescendance ni pitié. Il saisit une scène sur le vif, comme un peintre attentif aux détails, mais aussi à l'ensemble du tableau. Il décrit, dénonce, médite, rit, s'attriste et se moque tout à la fois. Il n’y a rien d’exotique ici ou d’idéaliste. Jean Narrache pourrait être associé au mouvement réaliste, car ce qu’il exprime, et la manière dont il l’exprime collent au réel. En effet, Jean Narrache se sert de thèmes universels, mais utilise un langage populaire, difficilement accessible, afin que celui-ci mette de l'avant le parallèle entre la pauvreté à la fois matérielle et langagière. La forme et le message ne forment donc qu'un. Il ne sombre jamais dans la vulgarité, mais malgré tout, on peut affirmer que cette tentative maladroite de retranscrire le langage du peuple aide à rendre les paysages urbains réalistes, en plus de permettre à une audience de lecteurs, qui contient à la fois les classes bourgeoises et populaires, de s’identifier au personnage, de le comprendre, d’avoir de la compassion pour lui et les semblables qui partagent ses aventures.
Dans ce recueil, Jean Narrache « peint » au gré de ses promenades observatrices des paysages urbains sans moraliser, mais lourd de sens pour les âmes sensibles à la condition sociale et humaine.

Au début, je voulais recopier certains poèmes ici, mais je sais après tout que personne ne lit les billets trop long, alors je vous refile quelques liens à lire si vous êtes curieux de découvrir ce poète trop méconnu.


Et pour mon bon plaisir, un poème bonus (je ne peux pas m'en empêcher!) :
Blâmons pas les professeurs

Moi, j'ai pas fait un cours classique ;
j'été rien qu'à l'école du rang.
Ça fait qu'c'est ça qui vous explique
que j'pass' pour être un ignorant.

Mais à l'écol' d'l'expérience,
j'ai r'çu mon diplôme à coups d'pied
où c'est qu'l'instruction puis la science
rentr'nt jamais sans nous estropier.

Ça fait qu' quand y'en a qui parolent
contr' nos grand's universités,
nos collèg's puis nos p'tit's écoles,
j'os' rien dir' ; j'suis pas fûté.

Seul'ment, avant de mettr' la faute
sur les maîtr's, les prêtr's puis les Sœurs,
faudrait ben se d'mander, nous autes,
quels élèv's qu'ont les professeurs.

Pensons, avant de j'ter la pierre,
à tous ceux qui doiv'nt se saigner
en travaillant à p'tit salaire
pour se dévouer à enseigner.

Si l'z'enfants qu'on envoie instruire
sont des vrais cruch's et des nonos,
les professeurs ont beau s'détruire,
y'en f'ront jamais des Papineau...

Quand un' bonn' poul' couv' des œufs d'dinde,
--- mêm' la meilleur' d'votr' poulailler, ---
faut pas la blâmer ni vous plaindre
qu'ça soit des dind's que vous ayez !

Aussi, une petite critique intéressante du recueil sur ce blogue (une référence dans le genre!) :
http://laurentiana.blogspot.com/2007/10/quand-jparl-tout-seul.html

1 commentaire:

Unknown a dit…

j'ai une copy originale de 1932...un leg de mamie Yvonne