lundi 28 mars 2011

Bedevilled - par Jang Cheol-soo

 Bedevilled / Blood Island /  Kim-bok-nam Sal-in-sa-eui Jeon-mal
Réalisé par Jang Cheol-soo
Avec Young-hee Seo, Sung-won Ji Seo, Min-ho Hwang
Date : 2010

Synopsis
Hae-won, banquière à Séoul, assiste à une tentative d'homicide. Perturbée, elle fait une faute professionnelle qui la voit obligée de prendre des vacances. Se souvenant de Moodo, l'île où habitait ses grands-parents, et où elle avait été heureuse lors d'une visite dans son enfance, elle décide d'y séjourner un temps. Toutefois, sur l'île, elle est choquée en voyant que son amie d'enfance, Bok-nam, est maltraitée par tous les habitants. Victime d'incestes et de viols, subissant des violences physiques et morales, et forcée de travailler pour les autres, Bok-nam supplie Hae-won de l'emmener à Séoul avec sa fille qu'elle désire protéger. Hae-won refuse, ne voulant pas s'impliquer sans cette situation sur le point de déraper vers l'horreur...

Il y a de ces films comme cela, marquant, bouleversant, dont on sait qu'il va nous suivre longtemps. Bedevilled est ainsi, à la fois d'une beauté époustouflante et d'une horreur sans nom.

Tragédie moderne de la Corée, Bedevilled se révèle lentement être une allégorie de la violence faite aux femmes. L'histoire menée lentement et avec adresse instille l'angoisse dans nos esprits, pour se tranformer de simple drame à un grand bain de sang philosophique. Intelligent et cruel, le récit atteint l'équilibre parfait entre réflexion sociologique et suspense horrifique. Il ne s'agit pas ici de série B. Bedevilled révèle un scénario et une réalisation menés par une main de fer, qui ne sombrent jamais dans la facilité. Ainsi, le colossal contraste entre la vie à la ville et l'existence à la campagne est bien exploité, sans jamais sombrer dans le cliché et dans la mauvaise foi. Séoul, moderne, remplie de promesses, engendre l'hypocrisie et la lâcheté. Les habitants insulaires, eux, effraient par leur rigidité archaïque, pour ne pas dire ancestrale. Mais si les deux réalités amènent des atrocités radicales sur lesquelles les gens préfèrent fermer les yeux, il n'en demeure pas moins que l'urbanité ne propose que la fuite devant le conflit, alors que le rural offre la possibilité d'une rébellion par le retour à la nature. Ne parle-t-on pas à plusieurs reprises dans le film de s'alimenter avec de l'herbe et des feuilles pour se sustenter à l'heure du repas? En acceptant sa nature animale, l'humain peut se libérer de ses peurs, et laisser exploser sa violence libératrice. La rédemption passe ici par l'acceptation, et non par le refuge dans l'hypocrisie.


La beauté du paysage côtoie l'innocence brisée dans une valse à laquelle est conviée Hae-won (Sung-won Ji Seo) bien malgré elle. Devant la barbarie monstrueuse et les humiliations que subie son amie d'enfance Bok-nam (Young-hee Seo), elle devra choisir entre s'impliquer ou renoncer à faire partie du monde. Si le choix paraît évident à la lecture de cette dernière ligne, dites-vous que vous n'avez pas encore visionné le film où chaque petit choix à une incidence énorme sur l'entourage des gens, mais surtout sur sa vie propre. Jusqu'où peut-on prendre des décision pour notre bonheur et notre liberté? Existe-t-il une limite à ne pas franchir? Bok-nam est le bouc émissaire de son village misogyne et primaire. Elle a autant de droits qu'un chien, et tous l'accepte dans cette Corée qui ne se préoccupe pas du sort de ses faibles, tant dans la cité que dans la nature. Mais si le faible décide de devenir fort, comme le chien battu qui décide de mordre la main qui le frappe, que devient alors l'ordre social initial? Jusqu'où la rébellion peut-elle mener? Dans ce film, elle atteint des extrêmes. La victime possède encore plus de force que le bourreau, mais on la disait faible. L'ordre établi en faisait un chien, elle se révèle être un loup.


Young-hee Seo offre une performance à donner l'envie de se couper les paupières pour mieux l'observer. À la fois froide et bouillante, elle porte sur son dos tout le film, le personnage de Hae-won se révélant au final relégué au second plan. Le dos courbé, elle montre une force et une endurance physiques impressionnantes lors des travaux d'agriculture ou de rénovation. Ses yeux d'un désespoir poignant affichent néanmoins une envie de vivre qui surpasse la condition de son propre corps. Young-hee Seo joue autant avec le physique que l'intériorité de son personnage, pour surpasser la simple coquille et donner vie à Bok-nam sous nos regards. Le film, qui se veut d'une profondeur exquise, en est ainsi renforcé, acquérant une subtilité importante en accord avec son scénario. On pleure avec Bok-nam, on est en colère avec elle... on approuve même ses gestes, ou presque. Le magnifique générique final, montrant les deux fillettes jouant avec innocence et mangeant des feuilles, vient renforcer cela, montrant que la violence de cette sorte n'est jamais simple et gratuite, mais plutôt le fruit d'une torture morale qu'un esprit ne peut soutenir sans sombrer dans la folie. Oui, Bedevilled est vraiment un film qui vous suit longtemps après son visionnement...

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