Les Bengalis de Bussières, une œuvre sous-estimée de l'Histoire littéraire du Québec.
Vieux recueil abîmé que j'ai trouvé au fin fond d'une bibliothèque, il est aussi - et heureusement - accessible sur internet.
Vieux recueil abîmé que j'ai trouvé au fin fond d'une bibliothèque, il est aussi - et heureusement - accessible sur internet.
Je partage avec vous deux poèmes analysés avec soin dans mon temps libre, mais je vous conseille le recueil au complet.
Le parnasse québécois est si peu enseigné de nos jours. Pourtant, ce sous-courant de l'Exotisme eut un rôle à jouer dans la Querelle des Régionalistes, en devenant un moyen d'opposition à la tutelle excessive de l'Église catholique sur la littérature canadienne-française de l'époque.
Les Exotiques revendiquaient une plus grande liberté d'expression et une ouverture sur le monde en s'inspirant des grands courants artistiques européens.
Ironie du sort, en copiant ce qui se faisait en France, ils empêchaient leur propre culture de s'épanouir, alors que les Régionalistes, en se basant sur les traditions de la terre, ont défini les valeurs canadiennes-françaises. Les Brésiliens n'ont-ils pas affirmé que leur littérature est née au moment où ils ont cesser de copier celle du Portugal?
L'exotisme de l'École littéraire de Montréal s'inspirait donc du Parnasse français, mais reflétait surtout son époque, où la littérature française était arrivée au pays depuis peu de temps, et fascinait les jeunes écrivains à la mentalité de colonisés et en manque d'identité culturelle.
Le cas d'Arthur de Bussières est différent. Je pense que c'est pour cela qu'il est si peu cité dans les programmes scolaires. De Bussières était un excentrique, même auprès des écrivains de l'École littéraire de Montréal. Né de parents pauvres, il vivait la Bohème en tant que peintre... de bâtiments. Autodidacte, c'est à peine s'il a été à l'école. Il s'inspirait des paysages étrangers pour écrire sa poésie, et, pourtant, il n'est jamais sorti de sa ville... voire de son quartier. C'est en rêvant qu'il composait ses vers. En rêvant d'un ailleurs qu'un pauvre ne pourrait jamais connaître...
Les Bengalis (1931)
Arthur de Bussières (1877 à 1913), ami et amant d'Émile Nelligan, et membre de l’École littéraire de Montréal, publia ses poèmes dans des revues diverses entre 1896 et 1913, mais ce n’est qu’en 1931 que Casimir Hébert les rassembla dans le recueil Les Bengalis, dont le titre fut tout de même choisi par Bussières lui-même. Les poèmes de ce recueil s’inscrivent dans la veine des poètes parnassiens, c’est-à-dire que Bussières s’inspire des règles du parnasse qui sont la beauté absolu, l’art pour l’art et le travail poétique, - le tout sans revendication de visées sociales, voire dans une distance totale avec le monde : « De Bussières partage [...] leur dédain du régionalisme à caractère nationaliste, leur refus de tout souci didactique ou utilitaire de la pratique poétique ; il adhère comme eux à une théorie de l’art pour l’art et fait sien leur goût un peu précieux pour l’exotisme et le pittoresque »1. Le souci du mot juste semble obséder le poète, dont les vers musicaux et la « plasticité » des phrases décrivent des tableaux présentant les hautes valeurs civilisatrices de l’humanité, et portés par un exotisme et un sens du rêve exacerbé mais métriquement calculés.
C'est un temple de pierre aux structures énormes,
Dont les contours pesants estompent l'horizon;
Granits, marbres en blocs, pylônes à foison,
Flanqués d'ombres. Autour, des cèdres ou des ormes.
Au sein de l'éclatante et vaste floraison
Des chrysanthèmes d'or aux sépales difformes,
Triste, ainsi que des dieux aux immobiles formes,
Un vieux bonze accroupi murmure une oraison.
Kita-no-tendji dort. Ni les voix de l'enceinte,
Ni les bruits éternels de Kioto la sainte
Ne vont troubler la paix de son divin sommeil.
Mais les temps l'ont penché vers l'abrupte colline;
Il chancelle, pareil au vieillard qui décline
Sous les grands rayons roux de l'hivernal soleil...
Ironie du sort, en copiant ce qui se faisait en France, ils empêchaient leur propre culture de s'épanouir, alors que les Régionalistes, en se basant sur les traditions de la terre, ont défini les valeurs canadiennes-françaises. Les Brésiliens n'ont-ils pas affirmé que leur littérature est née au moment où ils ont cesser de copier celle du Portugal?
L'exotisme de l'École littéraire de Montréal s'inspirait donc du Parnasse français, mais reflétait surtout son époque, où la littérature française était arrivée au pays depuis peu de temps, et fascinait les jeunes écrivains à la mentalité de colonisés et en manque d'identité culturelle.
Le cas d'Arthur de Bussières est différent. Je pense que c'est pour cela qu'il est si peu cité dans les programmes scolaires. De Bussières était un excentrique, même auprès des écrivains de l'École littéraire de Montréal. Né de parents pauvres, il vivait la Bohème en tant que peintre... de bâtiments. Autodidacte, c'est à peine s'il a été à l'école. Il s'inspirait des paysages étrangers pour écrire sa poésie, et, pourtant, il n'est jamais sorti de sa ville... voire de son quartier. C'est en rêvant qu'il composait ses vers. En rêvant d'un ailleurs qu'un pauvre ne pourrait jamais connaître...
Les Bengalis (1931)
Arthur de Bussières (1877 à 1913), ami et amant d'Émile Nelligan, et membre de l’École littéraire de Montréal, publia ses poèmes dans des revues diverses entre 1896 et 1913, mais ce n’est qu’en 1931 que Casimir Hébert les rassembla dans le recueil Les Bengalis, dont le titre fut tout de même choisi par Bussières lui-même. Les poèmes de ce recueil s’inscrivent dans la veine des poètes parnassiens, c’est-à-dire que Bussières s’inspire des règles du parnasse qui sont la beauté absolu, l’art pour l’art et le travail poétique, - le tout sans revendication de visées sociales, voire dans une distance totale avec le monde : « De Bussières partage [...] leur dédain du régionalisme à caractère nationaliste, leur refus de tout souci didactique ou utilitaire de la pratique poétique ; il adhère comme eux à une théorie de l’art pour l’art et fait sien leur goût un peu précieux pour l’exotisme et le pittoresque »1. Le souci du mot juste semble obséder le poète, dont les vers musicaux et la « plasticité » des phrases décrivent des tableaux présentant les hautes valeurs civilisatrices de l’humanité, et portés par un exotisme et un sens du rêve exacerbé mais métriquement calculés.
Kita-no-tendji
À Joseph Melançon.
C'est un temple de pierre aux structures énormes,
Dont les contours pesants estompent l'horizon;
Granits, marbres en blocs, pylônes à foison,
Flanqués d'ombres. Autour, des cèdres ou des ormes.
Au sein de l'éclatante et vaste floraison
Des chrysanthèmes d'or aux sépales difformes,
Triste, ainsi que des dieux aux immobiles formes,
Un vieux bonze accroupi murmure une oraison.
Kita-no-tendji dort. Ni les voix de l'enceinte,
Ni les bruits éternels de Kioto la sainte
Ne vont troubler la paix de son divin sommeil.
Mais les temps l'ont penché vers l'abrupte colline;
Il chancelle, pareil au vieillard qui décline
Sous les grands rayons roux de l'hivernal soleil...
Un exemple de cela est sûrement le poème « Kita-no-tendji », qui présente le récit d’un bonze âgé accroupi et priant dans un ancien temple japonais. Ce sonnet, très travaillé si l’on en croit les nombreuses variantes faites par Bussières, montre un paysage dégageant beaucoup de beauté, jointe à une intimité ambiante et manifeste. Les rimes des quatrains sont toutes au pluriel : cela donne un effets foisonnants, comme si le regards du poète ne savaient où se poser tellement les choses abondent dans le décor. Cela accentue aussi « l’allure gigantesque de l’architecture du temple nippon, la prolifération végétale qui l’entoure et qui, pour ainsi dire, le protège contre ce qui pourrait troubler sa tranquillité »2. Car la tranquillité et la grandeur se côtoient ici pour donner un air à la fois spirituel et grandiose. L’analyse du poème strophes par strophes le confirme. Ainsi, la première strophe montre une vue panoramique. Un grand temple s’y trouve. Ses dimensions sont suggérés par le vocabulaire employé. La description des jeux d’ombres et de lumières donnent l’impression de se trouver devant la toile d’un paysage en fin de journée. La deuxième strophe s’appuie plutôt sur l’organique, c’est-à-dire les fleurs et l’homme accroupi. Le silence règne, et est à peine troublé par le murmure du vieillard. Une impression de paix se dégage de ce quatrain. Le paysage est à peine mobile. En fait, il n’y a que les fleurs lumineuses et l’oraison divine qui laisse entrevoir la vie. La troisième strophe ne fait que confirmer le silence précédant : le moine dort. Quant à la dernière strophe, elle s’ouvre à un paysage temporel et physique plus grand, montrant que le temps détruit tout, les bâtiment et les humains. On est passé de quatre à trois vers par strophe : la dégradation est aussi formelle.
Soirée castillane
De lumineux éclats d'astres demi-voilés
Caressent doucement sous les cieux constellés
L'immobile verdeur des pâles marjolaines.
Aussi, dans le silence, on entend vers les blés
Le grand vol alourdi des nocturnes phalènes,
Pendant qu'au loin, la voix des belles madrilènes
Résonne sur la route aux sables grivelés.
Un franc toréador, rêvant de ses parades,
Sourit en son parterre orné de balustrades
Où l'onagre fleurit près des alcarazas;
Et la brise du soir, harpiste éolienne,
Éveillant des parfums le long des mimosas,
Vibre dans les sons d'or d'une tyrolienne.
L'immobile verdeur des pâles marjolaines.
Aussi, dans le silence, on entend vers les blés
Le grand vol alourdi des nocturnes phalènes,
Pendant qu'au loin, la voix des belles madrilènes
Résonne sur la route aux sables grivelés.
Un franc toréador, rêvant de ses parades,
Sourit en son parterre orné de balustrades
Où l'onagre fleurit près des alcarazas;
Et la brise du soir, harpiste éolienne,
Éveillant des parfums le long des mimosas,
Vibre dans les sons d'or d'une tyrolienne.
Le poème « Soirée castillane » utilise, de son côté, une utilisation de la forme assez semblable. Le premier quatrain situe la scène, et expose le sujet. On peut dire que beaucoup de descriptions de paysage de Bussières commence de cette façon : « le tableau se veut impersonnel et grandiose, les images frappantes, et les effets de sonorités et de couleurs efficaces »3. Tout au long de « Soirée castillane », Bussières joue avec ce qui frappe les sens et les effets produits par la lumière. Ici, c’est la nuit en Espagne. L’exotisme procure un effet magique à un tableau qui pourrait pourtant être banal sans cela. Au premier tercet, un « objet » apparaît, brisant le panorama du paysage pour privilégier une situation. Cela permet de conclure le poème par un enrichissement et un enchantement que le début ne possédait pas.
Ces deux poèmes se ressemblent beaucoup : un panorama montre un paysage qui subit l’assaut de la lumière et de la beauté contemplative de la nature. Puis, un objet apparaît, qui enrichit le sens premier du paysage pour lui donner une inscription temporel. Bussières décrivait le paysage comme on peint une toile : « Arthur de Bussières se sert d’un pinceau chargé des tons les plus divers mais toujours appropriés. En plus de poser artistiquement sa couleur, de Bussières observe, dans ses toiles, toutes les lois de la perspective »4. On peut donc conclure en disant que Bussières « est le plus “ peintre “ de nos poètes dits artistes »5.
1 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 17
2 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 24
3 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 22
4 PAQUIN, Wilfrid. Arthur de Bussières, poète, et l’École littéraire de Montréal, Fides, Montréal, 1986, p. 50
5 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 18
Ces deux poèmes se ressemblent beaucoup : un panorama montre un paysage qui subit l’assaut de la lumière et de la beauté contemplative de la nature. Puis, un objet apparaît, qui enrichit le sens premier du paysage pour lui donner une inscription temporel. Bussières décrivait le paysage comme on peint une toile : « Arthur de Bussières se sert d’un pinceau chargé des tons les plus divers mais toujours appropriés. En plus de poser artistiquement sa couleur, de Bussières observe, dans ses toiles, toutes les lois de la perspective »4. On peut donc conclure en disant que Bussières « est le plus “ peintre “ de nos poètes dits artistes »5.
1 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 17
2 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 24
3 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 22
4 PAQUIN, Wilfrid. Arthur de Bussières, poète, et l’École littéraire de Montréal, Fides, Montréal, 1986, p. 50
5 « Présentation » de Robert Giroux, dans Les Bengalis réédition critique, de De Bussières, Arthur, Éditions Cosmos, Sherbrooke, 1975, p. 18
2 commentaires:
Excellent billet! Je serais bien incapable de faire l'analyse de poésie comme tu le fais. Je dois avouer que je ne connaissais que très peu Arthur de Bussières... pratiquement que de nom en fait! Et que dire de l'Exotisme, dont je n'avais jamais entendu parler! Je pense que certains cours de littérature devraient être révisés!
Merci Allie. :)
Pour l'analyse de ces poèmes, j'ai pris mon temps. Je me pratique depuis des années, et puis, j'ai lu des ouvrages théoriques sur la poésie de Bussières. Donc, cela ne sort pas de nulle part, je te rassure. ;)
Arthur de Bussières est en effet presque inconnu. On voit son nom dans des ouvrages sur Nelligan, car ils étaient amis et amants. Sinon, on parle peu de lui. Et c'est dommage... :(
En ce qui concerne l'Exotisme, je suis bien d'accord. C'est comme si on nous faisait croire que seul le Régionalisme (ou le Terroirisme) existait à l'époque, alors que rien n'est plus faut. Il y avait les Régionaliste, les Exotiques (Parnasse, Romantisme patriotique, Symbolisme, etc), mais aussi les neutres qui ne se réclamaient d'aucun courant et trouvaient la Querelle stupide.
Il faudrait vraiment réviser les cours de littérature qui sont souvent du gros n'importe quoi au Québec...
J'ai déjà eu une prof, à l'époque du Cégep, qui prétendait que la littérature québécoise est née de la plume de l'écrivain français Louis Hémon avec Maria Chapdelaine en... 1913. XD
Rien de plus absurde, quand on sait que Jacques Cartier écrivait des récits de voyage, les religieuses des autobiographie et les Jésuites des dialogues philosophiques...
Sans oublier le dix-neuvième siècle, et toute sa littérature : poésie, romans, manuels, journaux, contes et légendes... héhé.
Tiens... De Bussières écrivait bien avant 1913! lol
J'ai l'impression de digresser quelque peu, mais c'est pour montrer que, en effet, la plupart des cours de littérature québécoise ne restent qu'en surface, au point d'en dire des conneries. XD
J'ai l'impression que le ministère nivelle volontairement ces cours par le bas, dans le but de faire passer tous les paresseux qui n'ont jamais fait l'effort de lire les livres du programme. XD
Et durant ce temps, de magnifiques poètes comme Arthur de Bussières passent inaperçus, et il faut fouiner dans les vieux stocks moisis des bibliothèques pour trouver des informations sur eux. >_<'
Tu vois ce que je veux dire? huhu
Merci de la visite! :D
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