mardi 12 juillet 2011

Ubu Roi - d'Alfred Jarry

Je n'écris plus ces temps-ci. Navrée... La vie quotidienne et ses tracas m'occupent l'esprit et me bouffent tout mon temps libre... sur deux déménagements de planifiés, un seul est terminé. Oufff, les boîtes de cartons me dévoreront jusqu'à la mi-août, je le sens. Voilà le lot de ceux qui déménagent trois fois en un été. Je croise les doigts pour la suite des événements. « Tout ira bien », espérons-le.

Mais la vie sous des montagnes cartonnées possède aussi des avantages : je peux repenser à certains de mes livres favoris, lu et relu, et les partager en peu de temps sur ce blogue, en attendant de retrouver la porte de sortie... car je me suis perdue entre les lampes et les casseroles. J'ai froid, j'ai faim, je veux lire. Des serpents pendouillent un peu partout. J'ai même cru voir une panthère, ce matin. Hummm... en attendant de revoir la lumière, voici une courte analyse d'une pièce culte, Ubu roi d'Alfred Jarry.

Résumé
Officier du roi dans une Pologne imaginaire, le Père Ubu est un horrible bonhomme et sa femme une gredine : deux personnages comiques, avec leur vocabulaire particulier et leurs pittoresques scènes de ménage.

Quatrième de couverture
Le personnage d'Ubu, né d'une pièce créée par des lycéens, est devenu le symbole universel de l'absurdité du pouvoir, du despotisme, de la cruauté. Jarry en montre le ridicule, lui oppose l'arme que les faibles gardent face aux tyrans, la formidable liberté intérieure que donne le rire. Le sens du comique et de l'humour change le tyran en marionnette, en ballon gonflé d'air.


LE TYRAN EN MARIONNETTE

« J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens »
- Ubu Roi

Le mythe d’Ubu Roi explore l'image séductrice du dictateur à travers le culte de la personnalité. En 1896, Alfred Jarry décrit un cercle politique devenu typique au vingtième siècle : les régimes totalitaires existent parce que des gens placent des oppresseurs au pouvoir. Jarry, alors âgé de seize ans, écrit sa pièce dans un cadre scolaire. Et pourtant, au-delà de son aspect mythique, Ubu Roi ouvrit la voie au symbolisme, un des genres théâtraux les plus importants de notre époque. Précurseur et visionnaire, Jarry fut aussi le premier à user de gros mots sur la scène. Le mot merdre commence la pièce... et les jours où des mots comme nez ou balai choquaient le public n'étaient alors pas si lointains.... Inutile de raconter le scandale de la première au lycée devant les parents d'élèves!

Le personnage mythique
Tout mythe commence par un personnage. Ici, l'auteur crée des marionnettes,  des stéréotypes sans problème d’ordre moral et spirituel, en se gardant de leur offrir une personnalité propre. Il faut dire que Jarry revendique l’influence du Guignol, la célèbre marionnette de Lyon comme source d'inspiration. Terminée la profondeur intrinsèque des béhavioristes. L'avantgardisme de Jarry présente des personnages aux noms fantastiques, aux vêtements caricaturaux et au langage vulgaire ne correspondant pas au profil social de la noblesse. Ils sont vilains, sans crédibilité, et possèdent des caractères grotesques et rendus parodiques par leurs excès (festin pantagruélique, orgies, guerre). Par contre, ils sont pourvus d'une personnalité particulière, moins caricaturale que celle des comédies des caractères du dix-septième siècle, et plus évocatrice que celle du naturalisme de cette époque. En accordant aux personnages des idées de grandeurs démesurées et un esprit de manipulation sans égal, le mythe ubuesque peut commencer.

Cassage d'illusion mimétique
Jarry fait du théâtre, et non une description sociale. Il transforme le décor en cadre irréaliste grâce à l'usage de pancartes pour indiquer des lieux et de jouets pour remplacer les chevaux. Le texte devient plus important que les péripéties. Jarry se sert des mots selon leur symbolisme, et non selon leur définition, afin de construire un univers déjanté mais intelligent. Le jeu des acteurs, quant à lui, monotone et impersonnel, se sert de la fadeur afin d'évincer le comédien au profit d’un acteur-marionnette doté d’un masque, d’une voix bizarre et d’une gestuelle universelle (et non personnelle). Cette subjectivité amène un vent de fraîcheur dans l'art dramatique. En effet, la fantaisie de l'ornementation, du texte et même du jeu des acteurs oblige le spectateur à se servir de son imagination. Et en ajoutant à tout cela l’humour et l’irrévérence, Jarry s’affranchit de son propre mouvement artistique pour aller dans une direction totalement différente, celle de la parodie politique. Le politicien et le roi s'en prennent plein la gueule dans cette dénonciation du culte de la personnalité, où l'image devient plus importante qu'un programme politique. Oui, Jarry a vraiment décrit une époque future à travers un personnage d'ogre rabelaisien ridicule mais inquiétant.

 Extrait
Mère Ubu. — Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?

Père Ubu. — Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l’heure par la casserole.

Mère Ubu. — Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?

Père Ubu. — Eh vraiment ! et puis après ? N’ai-je pas un cul comme les autres ?

Mère Ubu. — A ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues.

Père Ubu. — Si j’étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j’avais en Aragon et que ces gredins d’Espagnols m’ont impudemment volée.

Mère Ubu. — Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.

Père Ubu. — Ah ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d’un bois, il passera un mauvais quart d’heure.

Mère Ubu. — Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.

Père Ubu. — Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir !

Mère Ubu (à part). — Oh ! merdre ! (Haut) Ainsi, tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.

Père Ubu. — Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat.

Mère Ubu. — Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ?

Père Ubu. — Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s’en va en claquant la porte.)

Mère Ubu (seule). — Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l’avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.

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