GRAVEL, François. Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants, Québec/Amérique, coll. Littérature d'Amérique, Montréal, 1991, 216p
Quatrième de couverture
Une offre à la fois alléchante et embarrassante lance un jour le narrateur dans une enquête qui le ramènera plusieurs années en arrière, jusqu'avant l'époque où il il était bassiste pour les Black Stones. Qui ou que trouvera-t-il réellement au terme de cette recherche ?
Ce cinquième roman de François Gravel, construit comme un mécanisme d'horlogerie, dévoile la tendresse et l'amitié qui se dissimulent sous l'ironie ou le cynisme de son personnage. La puissance des formules-chocs y alterne avec la finesse, comme les pleins et les déliés d'une très belle écriture à la plume.
Mon commentaire
François Gravel a enchanté mon enfance grâce à sa série de livres jeunesses Klonk. Lors d'une biblio-vente, en tombant sur un de ses romans pour adultes, je me suis dit que je pouvais tenter le coup. Ce genre d'expérience livresque demeure toujours intéressante : l'adulte sera-t-elle aussi satisfaite que l'enfant? Après lecture, je peux affirmer avec enthousiasme que l'auteur passe le test haut la main. ;)
« Y a-t-il quelque chose de plus insignifiant que la vérité ? Oui : être obligé de la raconter ». (p.21)
Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants fut écrit en 1991. À cette époque (fin des années '80, début des '90), un mouvement littéraire se répandait au Québec parmi la jeunesse, mouvement qui fut nommé La désespérance. Les romanciers de la désespérance, tous de la génération X, exploitaient le thème de l'artiste marginal ne trouvant pas sa place dans cette société conçue par et pour les baby-boomers. Le résultat final, cynique, sombre et désespéré, montrait les ravages et dégâts laissés à la génération X par la précédente. Récits difficiles à lire, la seule et unique beauté se trouvait dans le refuge des mots, des arts et de la sexualité sans amour. Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants me fait beaucoup penser à ce genre, s'y inscrivant en plusieurs points : le cynisme du personnage principal laisse peu de place à l'imagination. L'idéalisme déçu de personnage montre un certain regret de l'intelligence et de la lucidité, car l'ignorance apporte le bonheur, c'est bien connu. Pourtant, derrière ce regard froid et dur sur la vie, on sent un désir de changer, de s'améliorer... d'être heureux. La progression psychologique du protagoniste, principal moteur de ce récit, va vers le haut, et non vers le bas toujours plus sombre. Il évolue vers la tranquillité d'esprit, se rendant compte que son cynisme est la véritable cause de sa stagnation. L'autre point qui dissocie ce livre du roman de la désespérance malgré sa tendance au désespoir, c'est le fait que François Gravel est un Baby-Bommers authentique. Son plus célèbre roman, Klonk, est un véritable hommage aux années '60. Il en va de même pour celui-ci, où la nostalgie de cette époque se ressent jusque dans le titre : les Black Stones, groupe de musique rock dont le protagoniste était le bassiste, se réunit une fois par année avec tous les membres (et certaines groupies) afin de « revivre le bon vieux temps » si on me permet l'expression populaire. On est loin de la société bloquée et no futur des X.
Et pourtant, tout au long de ma lecture, je ne cessais de voir des liens avec les romans de la désespérance. Le ton rend la lecture difficile. J'ai été obligé de le faire à petite dose pour ne pas trop déprimer. Mais plus je tournais les pages, plus je me prenais à l'histoire. Je me croyais presque dans un film de Woody Allen par moment. Surtout lorsque l'institution littéraire s'en prenait plein la gueule par ce personnage de nègre désabusé par rapport à propre domaine et pris malgré lui dans un contrat d'écriture qui changera à jamais son existence.
Malgré les moments de lecture difficiles, je relirais pour une deuxième fois Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants avec plaisir.
Malgré les moments de lecture difficiles, je relirais pour une deuxième fois Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants avec plaisir.
Extrait
[...] Moi aussi j'ai fait dans la littérature. J'étais jeune, encore à l'université. On m'y avait appris qu'il fallait à tout prix faire éclater la structure du récit, à défaut de faire éclater la bourgeoisie. J'y ais cru. Mon premier roman n'avait pas de personnage principal, je n'y racontais pas d'histoire et, pour faire plus éclaté encore, il n'y avait même pas de ponctuation. Par quel échafaudage dialectique en étions-nous arrivés à décréter que l'usage de la ponctuation était une tare bourgeoise? Le mystère reste entier. Je faisais semblant de comprendre, comme tout le monde, le temps d'avoir un papier. Personne ne devrait être tenu responsable des actes et des paroles qu'il a commis pendant la durée de ses études universitaires. On devrait invoquer les circonstances atténuantes et décréter une amnistie générale.Le pire, c'est que ça s'est vendu. Pas des masses, mais tout de même. J'avais eu des critiques plutôt tièdes dans les cahiers littéraires des journaux du samedi, mais une nuée de petites revues m'avaient encensé. Un an plus tard, je recevais mon premier chèque: cent soixante dollars. Emporté par l'enthousiasme, j'en avais écrit un autre dans la même veine. Mais j'avais quitté l'université, les revues qui m'avaient porté aux nues n'existaient plus, d'autres avaient pris leur place. L'absence de ponctuation était soudainement devenues une forme particulièrement perverse d'esthétisme petit-bourgeois, j'étais devenu un symbole de la dégénérescence de la culture capitaliste à son stade monopoliste. J'ai compris. Depuis ce temps, je laisse aux autres les éloges et les critiques, et je me contente de l'anonymat et des chèques.
- François Gravel, Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants, p. 8 et 9
2 commentaires:
Ô que oui que je note. De plus, j,aime beaucoup la couverture ;-)
J'ai dû faire une capture d'écran en plus, car je ne la trouvais pas (en qualité) sur le web. :s
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