jeudi 26 mai 2011

Uglies - Trilogie Uglies tome 1 - de Scott Westerfeld

Si j'ai bien eu un coup de cœur livresque au cours de la dernière année, c'est bien pour la trilogie Uglies, une série captivante de science-fiction pour les adolescents, au langage et à l'ambiance si particuliers.




Quatrième de couverture
Tally aura bientôt 16 ans. Comme toutes les filles de son âge, elle s'apprête à subir l'opération chirurgicale de passage pour quitter le monde des Uglies et intégrer la caste des Pretties. Dans ce futur paradis promis par les Autorités, Tally n'aura plus qu'une préoccupation, s'amuser... Mais la veille de son anniversaire, Tally se fait une nouvelle amie qui l'entraîne dans le monde des rebelles. Là-bas, elle découvre que la beauté parfaite et le bonheur absolu cachent plus qu'un secret d'État : une manipulation. Que va-t-elle choisir? Devenir rebelle et rester laide à vie, ou succomber à la perfection?
Véritable phénomène aux États-Unis, ce premier tome de la série Uglies a reçu plus de vingt récompenses, dont celle du Meilleur livre pour jeunes adultes 2006 de l'American Library Association.





Uglies, ou lorsque les Beaux se font Laids
L’utopie est un thème fascinant pour l’adepte de science-fiction : une société égalitaire dépourvue de pollution, de discrimination, de guerre et de maladie. Mais lorsque la mentalité « bien-pensante » sombre dans les excès, le rêve se transforme en cauchemar. La liberté physique peut devenir une dictature de la pensée, où tout écart à l’idéologie dominante est considéré immoral, voire criminel. Uglies de Scott Westerfeld, constituée des tomes Uglies (2005, 2007 en français), Pretties (2005, 2007 en français), Specials (2006, 2008 en français), et, étonnamment, des tomes Extras et Secrets qui complètent cette trilogie (sic), explore la didactique science-fictionnelle de la « dystopie », en présentant une société dont la mentalité bien-pensante l’a conduite à un totalitarisme mondial. Cette dénonciation romanesque se fait par le biais de l’exagération d’un défaut de notre monde actuel, le culte de la beauté.

Entre science-fiction et paralittérature
La trilogie Uglies présente un monde qui a subi les coups d’une destruction totale, mais reconstruit par des survivants qui ont fait un choix, celui de conditionner les gens, afin que plus jamais les erreurs de leurs ancêtres ne revoient le jour. En effet, ces survivants comprirent qu’ils devaient régler les problèmes de violence et de pollution, et n’hésitèrent donc pas à créer une société totalitaire, convaincus du bien-fondé de leur décision. Il est donc établi dans la genèse d'Uglies que l’Opération est perçue comme un bienfait. Du moins, jusqu’à ce que ce mode de vie soit contesté, amenant la réflexion du libre arbitre. Ici, Scott Westerfeld n’innove pas, construisant sa trilogie selon ce code typique du genre, c’est-à-dire en présentant des rescapés qui prennent une décision morale entraînant la réflexion didactique de l’oeuvre. Selon moi, ce schème codifié inscrit ce premier tome dans la littérature de grande diffusion. Il faudra attendre le troisième tome avant qu'une exploration plus poussée et amorale des thèmes principaux soit possible, permettant de sortir de ce schéma classique. Mais je garde cela pour un autre billet. ;)
Quoiqu'il en soit, Uglies n'est pas le récit manichéen qu'il semble être au premier abord.

Au delà de l'être et du paraître
La principale utilité des personnages d’Uglies est de servir le propos de l’auteur, qui fait d’eux des types servant une posture idéologico-narrative. Dès le début, l’auteur établit une fiche signalétique des personnages indiquant le programme narratif dont il sera question. Ainsi, chaque personnage est campé dès le début dans un rôle dont il ne pourra pas se défaire, dont les caractéristiques seront cohérentes au fil des trois tomes. Ces caractéristiques sont au nombre de cinq, c’est-à-dire que les personnages ont un nom, une position sociale, quelques traits de caractère, quelques traits physiques et une origine régionale. Ainsi, les personnages sont très peu décrits, ce qui peut surprendre dans un livre dont l’apparence physique est le principal sujet. Nous savons juste que les pretties, ceux qui ont subi l'Opération, ont un visage symétrique qui correspond à la norme biologique. De fait, il est possible de réduire le personnage à un résumé discursif, annoncé dans la fiche signalétique. Malgré cela, l’innovation d’Uglies tient au fait que les codes des types de personnages sont inversés (je précise que je parle des clichés physiques manichéens). L’être n’égale plus parfaitement le paraître. Certains stéréotypes traditionnels n’ont plus lieu. Ainsi, les pretties sont beaux, sereins, écologiques et végétariens. Ils n’ont pas de système monétaire, et ont aboli les notions de discriminations ethniques, économiques et sexistes. Toutefois, on se rend compte au fil de la lecture que les pretties sont des victimes du système. Il en va de même de la communauté des rebelles, qui vit du troc et de l’élevage au coeur de la nature qu'ils exploitent pour leur survie, sans notion de sécurité au quotidien et au travail, sans notion d'ordre et de hiérarchie, ce qui est très choquant au sein de cet univers où tout doit être lisse et organisé. Dans la trilogie Uglies, on ne peut pas se fier aux apparences pour juger la nature de quelqu’un.
J'ai adoré cette particularité, loin des grands combats bien contre mal, qui, si parfait dans Star Wars, me tapent sur les nerfs dans la plupart des œuvres.

Uglies est le premier tome d'une série à la fois légère et profonde, où les codes paralittéraires se retrouvent inversés, et où tout n'est pas ce qu'il semble être.
Un roman à lire et à relire.

Un extrait
- Pas des livres. On appelle ça des "magazines", expliqua Shay.
Elle en ouvrit un et pointa le doigt. Les pages étrangement brillantes étaient couvertes de photos. De gens.
Moches.
Tally écarquilla les yeux tandis que Shay tournait les pages, pointant le doigt et gloussant. Elle n'avait jamais vu autant de visages si différents. Des bouches, des yeux, des nez de toutes les formes possibles, et sur des gens de tous âges. Et les corps! Certains ridiculement gras, d'autres horriblement musclés, ou bien d'une maigreur troublante; presque tous présentaient d'importants défauts de proportions. Mais au lieu d'avoir honte de leurs difformités, ces gens riaient, s'embrassaient, prenaient la pose, comme si toutes ces photos avaient été prises lors d'une gigantesque réception.
- Qui sont ces monstres?
- Ce ne sont pas des monstres, répondit Shay. Le plus dingue, c'est que ce sont des gens célèbres.
- Célèbres pour quoi? Pour leur laideur?
- Non. Ce sont des sportifs, des acteurs, des artistes. Les hommes aux cheveux filandreux sont des musiciens, je crois. Les plus moches sont des hommes politiques, et quelqu'un m'a dit que les gras-doubles sont principalement des comiques.
- Alors, c'est à ça que ressemblaient les gens avant le premier Pretty? Comment arrivaient-ils à se regarder les uns les autres?
- Ouais. Ca fiche les jetons, au début. Mais le plus bizarre, c'est qu'à force, on finit par s'y habituer.
Shay parvint à la photo pleine page d'une femme vêtue d'une sorte de sous-vêtement moulant, évoquant une combinaison de plongée à lacets.
- Nom de... fit Tally.
- Ouais.
La femme semblait à l'agonie, les côtes saillantes, les jambes si fines que Tally se demanda par quel miracle elles ne se brisaient pas sous son poids. Ses coudes et ses os pelviens pointaient comme des aiguilles. Et pourtant elle se tenait là, souriante, dénudant fièrement son corps, comme si elle venait de subir l'Opération et n'avait pas réalisé qu'on lui avait retiré beaucoup trop de graisse. Détail amusant, son visage était sans doute le plus beau de tous ceux qu'on voyait dans le "magazine". Elle avait de grands yeux, la peau lisse, un petit nez, mais ses pommettes étaient trop accusées, et le crâne presque visible sous la chair.
- Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver, la pauvre?
- C'est un mannequin.
- Un quoi?
- Une espèce de Pretty professionnelle. Etre belle est dans son cas un métier, en quelque sorte.
- Et elle est en sous-vêtements parce que..? commença Tally, avant qu'un souvenir lui revienne en mémoire. Elle a cette maladie! Celle dont les professeurs nous parlaient toujours.
- Probablement. Et moi qui croyais qu'ils inventaient ça pour nous faire peur...
A l'époque antérieure à l'Opération, se souvint Tally, beaucoup de gens, en particulier des jeunes filles ne supportant plus leur poids, cessaient de s'alimenter. Ils maigrissaient trop rapidement, et certains, pris dans un cercle vicieux, continuaient à maigir jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dans le même état que ce "mannequin". Quelques-uns en arrivaient même à mourir, apprenait-on à l'école. C'était l'une des raisons qui avaient justifiés l'Opération. Personne n'attrapait plus cette maladie désormais, puisque tout le monde était destiné à devenir beau à partir de seize ans. En fait, la plupart des gens s'empiffraient comme des porcs juste avant la transformation, sachant que leur lard serait entièrement aspiré.


WESTERFELD, Scott. Uglies, Trad par Guillaume Fournier, Pocket Jeunesse, Paris, 2007, 432p

Le billet sur le tome 2, Pretties, tout aussi bon, à venir bientôt.

9 commentaires:

Allie a dit…

J'ai tellement lu de billets sur cette série quand elle est parue que j'en suis venue à être saturée et à ne pas avoir plus envie de cela de m'y attarder. Par contre ton billet est différent et je dois avouer que tu es en train de me faire hésiter! J'aime beaucoup l'utopie. Je vais surveiller tes prochains billets.

Mascha a dit…

Je suis contente que tu me dise que ce billet est différent. C'est un peu ce que je cherche à faire sur ce blogue, aussi maladroite sois-je par moment. hihi
J'essaie de m'éloigner du simple « j'ai lu, c'était cela, c'était bon » pour aboutir à des analyses plus profondes, bien que le partage soit le but premier de tous blogues sur la lecture et les arts, je crois. ;)
Je veux juste, aussi naïf que cela peut l'être, donner envie aux gens de consommer (ou non) les œuvres que je partage ici, en toute simplicité.
Il faut bien que mon esprit d'analyse serve à quelque chose, sinon il fera des siennes, comme un enfant abandonné. huhu ^^
Alors, ton commentaire me fait très plaisir et me conforte sur ma voie. ;)

Merci de ce commentaire, Allie. ^^

Perséphone a dit…

Cela fait un moment que cette série me tente et ce qui est drôle c'est que j'en parlais hier avec une amie! (du coup je ne veux pas lire tes autres billets par peur des spoiler).

Tu me donnes envie de le lire. Tu l'as lu dans quelle langue? Parce que mon amie disait que le style en français n'était pas génial par contre...

Mascha a dit…

Perséphone : la vie est bien faite, parfois. hihi
Pour te répondre, je l'ai lu en français, ne connaissant pas l'anglais. ;)

Liphéo a dit…

J'ai lu (ou plutôt dévorée) cette saga il y a de ça un an...et ton billet m'a carrément donné envie de la relire une autre fois...^^
Je suis contente de voir enfin qu'une autre blogueuse que moi à adoré cette trilogie. Tous les blogs sur lesquels je vais ne s'y sont jamais franchement attardés, et je trouvais ça dommage...
As-tu déjà lu d'autres livres de Scott Westerfeld ? Comme par exemple Léviathan, Midnighters ou V-Virus, qui sont tout aussi géniaux ?

Mascha a dit…

Merci pour ta visite et ton commentaire, Liphéo.

Pour te répondre, je n'en ai pas lu d'autres, non, mais si je mets la main sur un autre de ses romans, je le prend. ;-)
Je suis curieuse de voir ce qu'il a pu faire avec d'autres histoires. ;)

Liphéo a dit…

En tout cas, je peux d’ors et déjà te dire que j'ai adoré Léviathan et Midnighters. De vrais petit bijoux, cet auteur arrivera toujours à me ravir avec ces livres. :)
Voilà ! Bisous, j'espère que tu trouveras ton bonheur dans ses œuvres !

Mascha a dit…

Merci du conseil, je prend ces titres en note. ;)

Anonyme a dit…

Lauriane a dit j'adore ton billet et j'aime beaucoup cette nouvelle série