mercredi 18 mai 2011

Le vagabond américain en voie de disparition, précédé de Grand voyage en Europe - de Jack Kerouac

« Le vagabond a deux montres que l’on ne peut acheter chez Tiffany ;
à un poignet le soleil, à l’autre poignet la lune, les deux mains sont faites de ciel »
- Le vagabond américain en voie de disparition



KEROUAC, Jack. Le vagabond américain en voie de disparition, précédé de Grand voyage en Europe, trad. de l'anglais par Jean Autret,  2002, 96 p 

Quatrième de couverture
Sous prétexte d'aller chercher ses droits d'auteur à Londres, Kerouac flâne à travers l'Europe. Il découvre les charmes troubles de Tanger, les paysages de Cézanne, les promenades émerveillées dans Paris, la pluie normande et les brumes de Londres...
Dans un brillant plaidoyer en faveur des vagabonds, il se place sous l'égide de Virgile, de Benjamin Franklin ou de Walt Whitman, pour revendiquer le droit à l'errance, aux nuits à la belle étoile, aux rencontres et à l'imprévu.
Deux textes autobiographiques de l'auteur de Sur la route, un des témoins mythiques de la Beat Generation.



Deux nouvelles du grand écrivain beatnik tirés du recueil original Le Vagabond solitaire (1960) : « Grand voyage en Europe » et « Le vagabond américain en voie de disparition ». La première consiste en un récit de voyage d'une soixantaine de pages racontant les tribulations et observations de Kerouac au Maroc, en France et en Angleterre. Beaucoup de descriptions, un style assez formel, un écrivain fasciné par ses découvertes exotiques, mais qui ne reste qu'en surface des choses. Je n'ai pas beaucoup accroché. Je ne sais pas si l'on a le droit de critiquer Kerouac, mais je ne considère pas cette nouvelle comme un texte important de sa bibliographie. À moins que vous aimiez lire des listes exhaustives de noms de rues, de prostituées africaines et européennes, et de drogues (baby-boomer powa!)...
Le début, par contre, où Kerouac voyage dans un cargo communiste est très intéressant. L'écrivain n'engloutit pas encore son style sous des tonnes de descriptions, et s'émancipe du style de la nouvelle pour raconter son aventure passionnante sur le cargo prisonnier d'une tempête marine. 

Je voyais les mots « TOUT EST DIEU, RIEN N'EST JAMAIS ARRIVÉ SAUF DIEU », écrits en lettres de lait sur cette étendue marine. - Mon Dieu, un train infini dans un cimetière sans limite, voilà ce qu'est cette vie, mais elle n'a jamais été rien d'autre que cela - c'est pourquoi plus la haute vague monstrueuse se dresse pour se moquer de moi et pour m'insulter, plus je prendrai plaisir à la contemplation du vieux Rembrandt avec mon pichet de bière, et plus je malmènerai tous ceux qui se gaussent de Tolstoï, quelle que soit votre résistance ; et nous atteindrons l'Afrique, nous l'avons atteinte d'ailleurs, et si j'ai appris une leçon, ce fut une leçon en BLANC.
- « Grand voyage en Europe », page 17 et 18

La deuxième et dernière nouvelle du recueil, en revanche, je ne peux pas en parler autre qu'en des mots élogieux.
Véritable apologie du vagabondage, cette nouvelle sonne l'alarme sur les lois nouvelles contre l'errance, ainsi que sur les développements technologiques tels l'avion, qui détruisent peu à peu l'existence des chemineaux. Écrit avec tendresse, Kerouac revendique la liberté, l'intimité et le silence au cœur des nuits passées à la belle étoile. Il défend la réputation des vagabonds avec courage et conviction, rappelant le nom des grands hommes ayant eu besoin de vagabonder pour apporter leur soutien à l'humanité. L'écrivain établit ainsi un parallèle entre l'errance sur les routes et la quête du solitaire : Benjamin Franklin, Jésus, Bouddha, Teddy Roosevelt, Beethoven, Albert Einstein, etc. Le vagabondage prend une autre allure sous la plume de Kerouac : il devient respectable, et même, nécessaire à la liberté. La solitude permet l'introspection. La vie à la dure renforce les rêves. Pas d'amertume sous ces mots : mais une grande envie de marcher, marcher, toujours et encore, jusqu'à ce que l'on puisse toucher des doigts le bout du monde.
Une grande œuvre.

Bien que le chemineau de Bruegel et le chemineau d’aujourd’hui soient les mêmes, les enfants sont différents. - Où est même le vagabond chaplinesque ? Le vieux Vagabond de la Divine Comédie ? Le vagabond, c’est Virgile, il fut le premier de tous. – Le vagabond fait partie du monde de l’enfant (comme dans la célèbre toile de Bruegel représentant un énorme vagabond qui traverse solennellement le village pimpant et propret, les chiens aboient sur son passage, les enfants rient, saperlipopette) ; mais aujourd’hui, notre monde est un monde d’adultes, ce n’est plus un monde d’enfants. Aujourd’hui, on oblige le vagabond à s’esquiver - tout le monde admire les prouesses des policiers à la télévision.
« Le vagabond américain en voie de disparition », p. 77

En bref, un récit de voyage presque sous forme d'inventaires, qui n'est pas si passionnant que cela (2.75/5).
Mais un chef d’œuvre en guise de seconde nouvelle, une vingtaine de pages à lire absolument avant de mourir. (5/5)

4 commentaires:

dAvId DuKe a dit…

You live in Canada, and you read Kerouac in French ? Oh come on !

Mascha a dit…

Je ne suis pas Canadienne, mais Québécoise.
Tu sais, c'est une fausse croyance qui a la vie dure en France de croire que les Québécois sont tous bilingues.
C'est parce que leur perception est faussée par Montréal, qui est une ville anglophone et immigrante-anglophone. Et comme c'est souvent la seule ville qu'ils visitent, ils s'imaginent alors que tout le reste est anglicisé aussi. C'est comme visiter les coins uniquement francophones de la Belgique, et prétendent par la suite que tous les Belges sont francophones...
À l'opposé, tous les Français qui viennent au Québec sont parfaitement bilingues - au point où je n'ai jamais rencontré un seul Français de ma vie qui ne le soit pas -, mais tous prétendent que les Français ne savent pas parler en anglais. Allez savoir pourquoi...
Moi, je ne suis pas bilingue, mon anglais est médiocre, j'ai fait la meilleure université de mon pays, et comme je vis dans une ville à 98% francophone, qui est pourtant la quatrième en importance au Québec, je ne m'en fais pas outre mesure.

dAvId DuKe a dit…

Je vois que ma boutade de l'autre jour a fait des étincelles...loin de moi l'idée d'être agressif...
Je sais bien que tu es Québécoise (ce qui n'est pas incompatible avec ce que j'ai dit, il me semble) et il est vrai que je me suis laissé prendre par l'idée selon laquelle tous les Québécois sont bilingues. Comme souvent, il n'y a pas de règle. Au temps pour moi.
J'apprécie pour ma part lire en anglais - et j'ai particulièrement aimé lire Kerouac.

Ne m'en veux pas, s'il te plait.

Mascha a dit…

Comment pourrais-je t'en vouloir? ;-)

C'est juste que j'ai trouvé le commentaire assez déplacé... :s