dimanche 15 juillet 2012

Leonardo: le dernier voyage du Mandeville - Tome 2 - de Matthieu Legault

Leonardo: le dernier voyage du mandeville - Tome 2, Matthieu Legault, Les éditeurs réunis, 2011, 256p, ISBN: 978-2-89585-090-8

Quatrième de couverture
Après l’incendie qui a ravagé l’atelier du grand maître Verrocchio, la vie reprend tranquillement son cours normal à Florence, la capitale des arts.

Les tensions entre Botticelli et Leonardo se sont calmées, mais les deux garçons ne s’entendent toujours pas, au grand désespoir de leur maître. Ce dernier les envoie en mission vers la Chine dans l’espoir de créer un rapprochement entre les deux artistes.

Accompagnés de Vito et Vera, les amis de Leonardo, les apprentis embarquent sur le Mandeville pour un voyage en mer riche en émotions et en aventures. Avec les autres à bord, Leonardo devra affronter des navires ennemis, braver une tempête infernale et libérer un des siens séquestré par des pirates mal­veillants… Le jeune génie arrivera-t-il – avec quelques inventions extraordinaires et son sens de la stratégie hors pair – à gagner l’Extrême-Orient sans y laisser sa peau? 





Voyage dans l'imaginaire
 Lors de mon billet sur le premier tome, je disais ceci :
Il y a de ces romans qui font voyager par-delà les mers, par-delà les montagnes, si loin que l'aventure devient le moteur même de l'histoire. La transcendance des mots amène un monde de liberté et de terres sauvages si différent du nôtre qu'on accepte le périple textuel avec plaisir. On ne sait jamais qui on rencontrera au détour d'un chemin : flibustier, sorcière, chevalier, saltimbanque, créature elfique, monstre... Leonardo: l'atelier du grand Verrocchio est un livre de ce type. Grâce à ce récit, j'ai été transporté de ma chambre vers la première Renaissance italienne, au milieu des humanistes et des inventeurs, des grands peintres et des explorateurs. J'y ai rencontré Léonard de Vinci, Sandro Botticelli, Le Verrocchio, Laurent de Médicis et, même, Christophe Colomb.
Cette capacité à créer du rêve parsème encore plus l'imaginaire du deuxième tome de Leonardo. En lisant ce roman, je me suis retrouvée sur une caravelle commerciale, parmi des marins passionnés par les sept mers, en direction de la Chine de jadis. J'ai porté des étoffes aux riches tissus en compagnie de Leonardo. J'ai senti l'odeur du sel et des grands vents maritimes en prenant le soleil sur le pont. Je me suis laissée bercer par le bruits des vagues, jusqu'à atteindre un état de grande paix. J'ai craint tempêtes et pirates avec une angoisse réelle. J'ai même eu le vertige à cause du bateau qui tanguait sans cesse! Tout cela, je le dois à la plume de Matthieu Legault, qui transmet avec une grande sensibilité les sens et les images propres à un tel récit. Grâce à une rigueur historique qui reflète une forte passion de la part de l'auteur, la projection devient aussi aisée que la lecture. Mais l'imagination ne demeure pas en reste pour autant : des personnages atypiques et des technologies anticipées rappelle le caractère fictif de cette œuvre. Une tentative qui pourrait être fâcheuse si elle était maladroite. Or, il n'en est rien. Tout est maîtrisé d'une main de maître, ou plutôt, de mots d'écrivain. Le recours à des références tant historiques que littéraires (La divine comédie de Dante, par exemple) donne une profondeur ainsi qu'une qualité inestimables à l'ouvrage. Encore une fois, nous sommes plongés dans un roman jeunesse d'une haute valeur, tout-à-fait du même niveau que les romans pour adultes. Je n'y trouve rien de négatif. Je suis même entrée dans l'histoire du premier coup cette fois-ci, contrairement à ma lecture du tome 1. Bref, vous aurez compris que je recommande cette série et ce tome à tout ceux qui ont envie de s'évader dans leur propre imaginaire en compagnie des grands esprits de la Renaissance : Leonardo Da Vinci, Sandro Botticelli et Christophe Colomb, ainsi que tous leurs amis-es à la personnalité si attachante.

Extrait

lundi 9 juillet 2012

Moïse : l'affaire Roch Thériault - par Mario Azzopardi

Fiche technique
Savage Messiah / Moise : l'affaire Roch Theriault
Réalisé par Mario Azzopardi
Nationalité : québécoise 
Date de sortie : 2002
Société de production : Christal Films
Avec Polly Walker, Luc Picard,  Isabelle Blais, Isabelle Cyr, Julie LaRochelle et Pascale Montpetit.

Synopsis (source)
Inspiré d'un fait vécu. Roch Thériault (Luc Picard), le chef d'une étrange commune, vivait avec ses 8 femmes et ses 26 enfants. Une travailleuse sociale (Polly Walker) devine, malgré les apparences trompeuses, le désespoir des femmes de Thériault lors d'une visite de la commune. Malgré l'indifférence de ses collègues de travail, elle entreprend une enquête qui mène à de terribles découvertes; un enfant mort, d'étranges rituels ainsi que de graves cas de violence physique et psychologique. Se faisant, elle met sa carrière et sa vie en jeu. Elle est toutefois prête à surmonter tous les obstacles pour libérer de l'emprise de Thériault les membres de cette étrange communauté. Elle doit également affronter Thériault qui manipule avec une étonnante facilité les gens et le système, y compris les enquêteurs nommés par le tribunal.
  
Mon appréciation
Roch Thériault, dit Moïse, n'est plus à présenter. Un des plus dangereux criminels au Canada (en tête de liste avec les tueurs en série!), fondateur d'une des pires sectes de l'Amérique du Nord, son histoire va longtemps continuer de faire jaser. Comme disait l'une de mes anciennes prof de philo : « pour connaître les critères d'une secte, il suffit de regarder celle de Thériault : elle les a tous à sa liste, atrocités comprises ». Vous m'excuserez donc si ce billet révèle quelque peu le film, mais cette histoire est si connue que je ne crois pas vendre beaucoup d'éléments de l'intrigue.

Moïse : l'affaire Roch Thériault, c'est donc la troublante histoire de la secte fondée par Roch Thériault, la prétendue réincarnation de Moïse, après son établissement en Ontario. La partie concernant le Québec n'est donc pas présente dans le film, qui se concentre sur les dernières années de la communauté.

Le drame
Lentement, mais sûrement, le film retrace les atrocités commises par Thériault sur ses huit concubines et leur ribambelle d'enfants dans sa communauté autarcique : violences psychologiques et physiques, faim, travail forcé, humiliations, abus sexuels, incestes, tortures, esclavage, amputations, meurtre... Lentement, la tension monte et l'horreur se dévoile au grand jour, sous nos yeux. Et lorsqu'on respire enfin, devant la fin d'une abomination, c'est pour mieux retenir son souffle devant la révélation d'une nouvelle. Je crois que la grande force de ce film, c'est cette capacité à produire une horreur si crédible, perpétrée au nom de la vision égocentrique de l'amour du Messie sauvage. Impossible de fermer les yeux en se disant que ce n'est que fiction, car l'histoire est vraie. Et plus que troublante.

Le Messie sauvage
Le meilleur point du film, c'est cette magistrale interprétation de Luc Picard dans la peau de Rock, Moïse, Thériault. Intense et cruel à souhait. Difficile de croire qu'un acteur réputé si gentil se cache derrière ce personnage mauvais et manipulateur. Avec ce genre de rôle, le risque, c'est de surjouer. Faire de gros yeux méchants-méchants à tout bout de champ pour dire que le monsieur est méchant-méchant. Or, l'interprétation de Picard est juste et maîtrisé. Les regards de mépris lancés par celui que l'on surnomme parfois le Charles Manson canadien sont crédibles et lancés au bon moment et à la bonne personne. En fait, Luc Picard réussit à dégager un véritable sentiment de violence et de folie qui crée une peur réelle. Un acteur prodigieux et un grand rôle.

La réalisation
Par contre, un bémol constant me dérange dans ce film : sa réalisation. En effet, celle-ci vieillit mal. Je pense que le réalisateur n'a pas voulu dépasser le vulgaire stade « série télé-fait vécu ». Du coup, le film n'est qu'une série de plans fixes, avec très peu de mouvements de caméra, d'insertions d'images douteuses et même de couleurs fades. Son petit budget s'adaptait pourtant très bien à ce style d'histoire. Dommage, car ce film avait un bon petit potentiel indépendant. Du coup, c'est vraiment pour le scénario qu'il faut regarder Moïse : l'affaire Roch Theriault, et non pour la technique.

Le test de bechdel
J'ai soumis ce film au test de bechdel. Voici les résultats :

Y a-t-il au moins deux personnages féminins dans le film, avec un nom? : Oui, et une douzaine de femmes à part de cela!
Qui parlent l'une avec l'autre? : Oui, et ce, à plusieurs reprises.
Au sujet d’autre chose qu’un homme ? : C'est là que le bât blesse. La majorité des conversations tournent soit autour de leurs anciennes aventures de couchette, soit du personnage de Moïse. Ces femmes peuvent parler durant 5 secondes de leurs émotions propres, mais l'associent aussitôt à Roch Thériault ou à l'ex mari de la travailleuse sociale.
Ces femmes, avec un prénom et qui entretiennent la conversation, parlent-elle d'autre chose que des hommes durant au moins une minute? : Donc, elle parle d'autre chose que d'un homme, mais pas durant plus de 10 secondes dans tout le film. Le film échoue donc le test, malgré sa distribution presque entièrement féminine. Et c'est dommage. Le film aurait eu plus de profondeur si les personnages féminins auraient hérités d'une personnalité propre.
 
En conclusion, Moïse : l'affaire Roch Thériault, un film poignant sur une tragédie humaine qui aura bouleversé le Canada.

Un extrait du film
http://www.addik.tv/cinema/moiselaffairerochtheriault/

lundi 25 juin 2012

Le test de Bechdel

Dorénavant, tous* les films critiqués sur ce blogue seront soumis au test de Bechdel.

En quoi consiste ce fameux test?

Développé à l'origine par Alison Bechdel et Liz Wallace dans la bande-dessinée Dykes to Watch Out For, il s'agit d'une grille d'analyse féministe qui mesure d'une très simple façon la présence féminine dans les films.


Ce test se décline selon trois critères :
  1. Y a-t-il au moins deux personnages féminins dans le film, avec un nom...
  2. qui parlent l'une avec l'autre…
  3. au sujet d’autre chose qu’un homme ?
Et lorsqu'on dit d'autre chose qu'un homme, on dit n'importe quel sujet, stéréotypé, comme des chaussures, ou insignifiant, comme une chaise, une perruche, le caca du chien-chien... Pas besoin de profondeur ou de philosophie pour passer le test.
Il existe une version allongée du test :

     4. Ces femmes, avec un prénom et qui entretiennent la conversation, parlent-elle d'autre chose que des hommes durant au moins une minute?

Beaucoup de films qui réussissaient les trois premières étapes échouent cette quatrième.
Il existe aussi un Bechdel des couleurs :

     1. Deux personnages de couleur, qui ont aussi des noms...
     2. qui parlent ensemble...
     3. d’autre chose que d’un caucasien?

De grands films sur la libération des noirs ne passent même pas le test.

Pourquoi ce test?
Cette grille d'analyse n'explique en rien la profondeur d'un film. Il ne révèle pas ses qualités, ni rien de tout cela. Certains films, géniaux, et que j'adore et que je recommande, ne réussissent pas le test, alors qu'ils possèdent de grandes qualités cinématographiques. Le contraire demeure tout aussi vrai. Pensons aux films dits « de filles », qui, finalement, s'avèrent assez androcentrique ou remplis de clichés sexistes.
Toutefois, le test de Bechdel en révèle beaucoup sur la nature d'un film, et, en général, sur la nature hollywoodienne. Le but du test de Bechdel, qui, à la base, demeurait une blague féministe, est désormais pris au sérieux par les critiques et les fans de cinéma. Quel est ce but? De montrer le problème de représentation - l'immense problème - de Hollywood envers les femmes, et, de manière étendue, les gens de couleurs. Les scénaristes, les réalisateurs, les producteurs sont plus souvent qu'autrement, des hommes. Intéressés par le profit, ils pensent que de s'adresser à un public jeune, mâle et hétéro est gage de réussite. Peu importe les succès au box-office pour les films dont l'héroïne est une femme. Ces hommes ne veulent montrer que des films d'hommes fait par et pour des hommes, où les femmes ne servent que de simples décorations. Rares sont les films où une femme possède une nature à part entière, crédible et profonde. Le test de Behdel pointe donc du doigt ce problème aussi tenace aujourd'hui qu'autrefois, et qui fait que les rôles féminins à Hollywood ne sont pas plus nombreux de nos jours qu'il y a soixante ans!! (oui oui!).
Dans de nombreux films oscarisés, on y voit une représentation de l'homme blanc hétérosexuel, qui n'est non pas une personne (chers lecteurs, ne vous sentez pas visés), mais un concept significatif sur la soumission à des normes sociétales : le corps parfait n'est pas féminin, pas coloré, pas homosexuel, pas transgenre, pas handicapé, pas végétarien, pas militant, pas trop jeune, pas trop vieux, etc. Bref, le héros mâle, blanc et hétérosexuel ne défie aucune norme. Il est complètement conformé à la société, et refuse d'intégrer à son discours tout ce qui pourrait venir la perturber. Ce concept se retrouve dans de nombreux films populaires ou d'auteur, qui ne cherchent pas à renverser l'ordre établi. Le test de Bechdel devient donc subversif dans une société où on accepte couramment l'idée qu'un film qui n'ait qu'un seul personnage féminin pour vingt hommes, et tant pis si celle-ci n'a d'autre nom de « petite amie du héros ».

Et encore, le test de Bechdel ne pose que des questions de base. Il demande si une femme possède un nom, et non des motivations, une autonomie, des idées, des sentiments, de l'indépendance, une force certaine. Il demande si deux femmes discutent ensemble une seule fois dans le film, et non si ces conversations font progresser l'histoire ou s'y inscrivent comme éléments principaux. Il demande si ces femmes parlent d'un sujet en dehors des hommes, et non pas du sens de la vie, de culture, de société, de spiritualité, de science, de militantisme ou d'anecdotes qui les rendent vivantes. Le test de Bechdel ne fait qu'évaluer l'essentiel : la présence des femmes dans un film, et si celle-ci ne sert qu'à servir les personnages masculins.

Un excellent article du blogue Je suis féministe décrit le test en détail : Le test de Bechdel ou Hollywood déteste les Femmes.

Plusieurs vidéos de Feminist Frequency expliquent et se servent du test dans leur capsule.
(Il y a des sous-titre français pour ces trois vidéos).

Le test de Bechdel,
 

 le point de vue privilégié selon les genres,
 

et une analyse des films nominés aux Oscars en 2011
ainsi qu'une explication plus poussée des raisons d'être du test de Bechdel.

  *Ou plutôt devrais-je dire tous les films lorsque j'y penserai.

mardi 5 juin 2012

Un bébé pour Rosemary - d'Ira Levin

Levin, Ira. Un bébé pour Rosemary (Rosemary's baby), 1967.

Résumé
Un cinq pièces au Bradford en plein coeur de New York, quel bonheur pour un jeune couple! Rosemary et Guy n'en reviennent pas. Les jaloux disent que l'immeuble est maudit, marqué par la magie noire, que le sinistre Marcato y habita, que les sueurs Trench y pratiquèrent des sacrifices immondes...
Peu de temps après l'arrivée de Rosemary, une jeune fille se jette par la fenêtre.
Une étrange odeur règne dans les appartements. Quant aux voisins, leurs yeux sont bizarres, leurs prévenances suspectes. Guy lui-même change, et sa jeune femme, poursuivie par des rêves atroces, lutte en vain contre une terreur grandissante.
Que deviendra, dans ces conditions, le bébé de Rosemary...?

L'histoire de Rosemary
Un bébé pour Rosemary est un petit grand roman. Un roman fantastique et horrifique qui ne laisse pas indifférent. Immortalisé, à l'écran par Roman Polanski, et par les assassinats de Charles Manson, ce livre demeurera encore longtemps un classique de la littérature américaine.

Ce livre, c'est l'histoire d'une femme, Rosemary, qui emménage avec son mari dans l'immeuble de ses rêves, le Bradford, en faisant fi des rumeurs de lieu maudit qui l'entourent. La principale force de ce roman, c'est sa présentation du quotidien. Moult détails rendent réalistes la description de la vie de Rosemary. On suit son déménagement, son couple, ses tâches journalières au sein de l'appartement... le tout sans se douter de l'horreur qui va arriver. La force de ce roman, c'est d'instiller une lente paranoïa en faisant appel à l'imagination du lecteur grâce à de petites vétilles à première vue anodines. Le doute s'installe, mais la réponse se fait attendre, jusqu'à la résolution à la toute fin du roman. Il faut dire que l'on suit le point de vue de Rosemary, donc, ses pensées, ses inquiétudes et ses soupçons. On ignore si elle voit juste ou si elle s'imagine des choses. C'est ce point qui fait tout l'intérêt du roman. Rosemary tombe enceinte. Mais sa grossesse si difficile est telle la cause d'une fuite hors de la réalité? Sa grossesse est telle, au contraire, anormale? Y a-t-il conspiration dans l'immeuble autour de sa gravidité? Les voisins, un couple âgé, se montrent fort attentionnés envers elle et son mari. Cette gentillesse est-elle sincère? Rosemary ne sait plus où elle en est. Une chose demeure certaine : le ton ironique employé par Ira Levin permet un détachement du pathos qui empêche le récit de sombrer dans le kitsch. C'est avec brio que s'effectue le basculement de la réalité vers le fantastique. Un seul point peut par contre porter ombrage au récit. Mais comme il s'agit d'un spoiler, je conseille à ceux qui ne veulent pas lire de révélations de cesser la lecture de ce commentaire critique. En 1967, au moment de la publication d'Un bébé pour Rosemary, les thèmes du satanisme et de la sorcellerie était dans l'air du temps. De nos jours, ce thème peut rebuter plusieurs personnes tant il peut nous sembler cliché et irréaliste. Mais, comme on dit, cela ne fait que mieux refléter son époque. En se replongeant dans la mentalité américaine de la fin des années '60, on peut donc pleinement apprécier cette lecture à sa juste valeur. ;-)

En conclusion, Un bébé pour Rosemary est un grand classique de la littérature d'horreur états-unienne que je recommande vivement. Ce livre se laisse dévorer d'un seul coup. Idéal pour passer à travers des jours de pluie ou des nuits blanches (pour l'ambiance sombre) tout en passant un moment fort agréable avec une excellente histoire.

Extrait
Rosemary ne se souvenait des sinistres avertissement de Hutch que lorsqu'elle descendait au sous-sol pour faire la lessive, environ tous les quatre jours, et cela la mettait mal à l'aise. L'ascenseur de service était déjà peu rassurant (petit, sujet à des grincements et à des secousses inattendues, et sans liftier pour le manœuvrer), et le sous-sol lui-même était un endroit peu engageant, avec ses couloirs de brique au badigeon écaillé, au bout desquels on entendait s'éloigner des bruits de pas étouffés, où des portes qu'on ne voyait pas se refermaient brusquement avec un bruit sourd, et où de vieux réfrigérateurs au rebut tournaient leur porte contre le mur sous des ampoules électriques à l'éclat brutal derrière leurs muselières de grillage.
C'était là, se rappelait Rosemary, qu'on avait trouvé, il n'y avait pas si longtemps, le cadavre d'un nouveau né enveloppé dans un journal. L'enfant de qui était-ce? Et comment était-il mort? Qui l'avait découvert? La personne qui l'avait abandonné avait-elle été arrêtée, et condamnée?

Lu dans le cadre du challenge Un classique par mois

lundi 4 juin 2012

Les aurores montréales - de Monique Proulx

Monique Proulx, Les aurores montréales, Montréal : Boréal, 1996, Coll. Boréal compact85, 239 p.

Quatrième de couverture
Ce sont des nouvelles, textes courts et incisifs, tous soigneusement taillés dans l’insupportable bana­lité des drames et des lieux. Le livre se compare à une petite mosaïque de pierres multicolores. Chacune conserve sa couleur rare et la forme unique de sa froide minéralité. L’ensemble n’en constitue pas moins un vivant portrait de Montréal, une effrayan­te collection de spécimens humains, un tableau prodigieux de cacophonie et de tristesse nordique [...].

Il faut lire sans hésiter
Les Aurores montréales. Pour apprivoiser l’atrocité. Pour attiser la fureur. Pour savourer le bonheur d’une écriture souveraine aux portes de la barbarie. Enfin parce que ces nou­velles s’ajustent de manière à former un livre, ce qui n’est pas toujours évident quand on rassemble des ­histoires dont chacune soutient si facilement sa propre unité.
Réjean Beaudoin, Liberté



Écrit de mémoire
Avec ce billet, je devrais commencer à rattraper mon énorme retard dans mes chroniques. Yeah! Toutefois, je suis confrontée à un énorme désavantage. En effet, cette lecture remonte à plus de cinq mois! Donc, cet avis est écrit de mémoire, ce qui m'empêche d'approfondir le billet comme je le voudrais. Veuillez m'en pardonner d'avance.

Une ville cosmopolite
J'adore la plume de Monique Proulx. J'ai déjà chroniqué deux de ses romans par le passé (Le sexe des étoiles et Homme invisible à la fenêtre). Mais ce coup-ci, c'est d'un recueil de nouvelles dont je parlerai. Un recueil qui, hélas, n'est pas arrivé à satisfaire mes attentes peut-être trop élevées.
Disons que j'ai trouvé le recueil écrit selon deux pôles très précis : le très bon ou l'anecdotique. Il s'agit d'une chose que je remarque souvent dans les recueils de nouvelles québécois, sans que je puisse l'expliquer. Il y a ainsi d'excellentes histoires, comme Madame Bovary, le récit d'une petite bourgeoise de banlieue qui rêve de quitter le banal, mais qui se retrouve snober par un intellectuel qui ne voit en elle qu'un ersatz de Madame Bovary.
Ou encore Les aurores montréales, nouvelle qui donne son titre au livre, et qui raconte l'intransigeance d'un adolescent qui a maille à partir avec les anglophones et les immigrants.
Ou même Noir et blanc, une réflexion marquante dédiée à Dany Laferrière sur la place des noirs au Québec (somme toute assez positive selon Proulx).
Ou Français, Françaises, une nouvelle ironique sur un écrivain québécois qui rêve de Paris et d'un éditeur français qui rêve de Montréal!
J'ai aussi eu une surprise en lisant Les transports en commun, lorsque je me suis aperçue que je l'avais déjà lue à l'école secondaire! Une bonne histoire sur la télé-réalité et la notion d'héroïsme.

D'autres m'ont laissé mitigé, comme L'enfance de l'art, une nouvelle sur un camionneur qui se paie les services d'une prostituée de douze ans. Terrible et affreux! C'est peut-être, d'ailleurs, parce que cette nouvelle est trop dur à lire pour l'esprit qu'elle m'a laissée cette impression de déchirement.... Ce même déchirement ressenti en lisant Le passage, l'histoire d'une naïve adolescente qui couche pour obtenir son premier emploi. Trop difficile pour mon esprit sensible. ;)

Bien entendu, toutes ces nouvelles possèdent un point commun : Montréal. Une ville que je n'ai jamais aimée, ce qui biaise un peu mon point de vue, mais qui fascine Monique Proulx par son énergie et sa diversité culturelle, celles-ci devenant le centre même de tous les récits. Ajoutons à cela un brin de post-modernisme, et Les aurores montréales reflète à la perfection son époque, c'est-à-dire le milieu des années '90, là où le Québec est entré dans sa plus grande phase d'immobilisme et d'individualisme, une phase néo-libérale dont les Québécois ne sont toujours pas sortie (mais un vent nouveau souffle à l'horizon les amis!) Le recueil prend donc une dimension anthropologique, un peu à la manière des chansons de Jean Leloup! On le lit, et on comprend des choses sur cette époque où prime le matérialisme, le sexe sans amour, la désillusion référendaire, le multiculturel (chacun dans son coin et on ne se mélange pas) et la perte des repères pour cette société qui évolue au gré de la technologie, mais qui a perdu ses projets de société.

Malgré tout, le principal reproche que je peux formuler concernant ce livre, c'est que son auteure ne renouvelle pas la structure traditionnelle des nouvelles. Beaucoup suivent la ligne suivante : un début, une complication, de courtes péripéties et une fin surprenante (parfois moraliste, hélas!). Oh, quelques nouvelles sortent du lot, comme Léa et Paul, par exemple, qui transgresse la ligne temporelle droite, à la façon d'un souvenir. Mais le contenu est loin d'égalé l'originalité de la forme, en offrant une histoire indigeste d'un couple qui bat de l'aile à cause d'une histoire d'avortement et d'infidélités répétées. Moraliste, parfois, je vous dis.
Je suis donc déçue de cette œuvre dont j'attendais beaucoup, étant donné que Monique Proulx fait partie de mes romancières préférées. Dommage!
Le tout demeure toutefois intéressant à lire, une nouvelle à la fois. Ça coince juste lorsqu'on tente de lire le recueil en une fois....

mardi 29 mai 2012

Vacances estivales


Les vacances estivales se présentent à moi, et, avec elles, beaucoup de temps libre pour réaliser mes projets. Je vous annonce donc que je vais reprendre en main ce blogue presque laissé à l'abandon. Je vais même tenter de rattraper le retard dans mes billets. Imaginez vous donc que certains des livres que j'ai lu lors des vacances de la Noël n'ont toujours pas été chroniqué! Quelle honte! héhé
Je vais donc prendre le temps de prendre le temps, lire un tas de livres, et leur écrire des billets d'appréciation. Je vais aussi revisiter de nouveau vos blogues, et les commenter avec mon énergie retrouvée. ;)
Car cet été sera rempli de littérature et d'amour, ou ne sera pas, héhé! ;)

Sur ce, je vous souhaite un bel été de lecture sous le soleil radieux, vacances ou non! ;)
À bientôt!

PS : Une nouvelle mise en page pour un renouveau apprécié! Les couleurs sont désormais plus claires, pour correspondre à la magie de l'été! ;)

dimanche 18 mars 2012

« Le déserteur » de Boris Vian

Voici une des plus belles chansons de la langue française : Le déserteur, écrite par Boris Vian. Il s'agit d'une chanson hautement controversée à cause de ses propos pacifistes et antimilitaristes. Et c'est la raison exacte pour laquelle je l'aime tant!


Le déserteur

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter

Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer

dimanche 26 février 2012

L'écume des jours - Boris Vian

Résumé (source)
Chick, Alise, Chloé et Colin passent leur temps à dire des choses rigolotes, à écouter Duke Ellington et à patiner. Dans ce monde où les pianos sont des mélangeurs à cocktails, la réalité semble ne pas avoir de prise. On se marie à l'église comme on va à la fête foraine et on ignore le travail, qui se réduit à une usine monstrueuse faisant tache sur le paysage.

Pied de nez aux conventions romanesques et à la morale commune, L'Ecume des jours est un délice verbal et un festin poétique. Jeux de mots, néologismes, décalages incongrus... Vian surenchérit sans cesse, faisant naître comme un vertige chez le lecteur hébété, qui sourit quand il peut. Mais le véritable malaise vient d'ailleurs : ces adolescents éternels à la sensibilité exacerbée constituent des victimes de choix. L'obsession consumériste de Chick, née d'une idolâtrie frénétique pour un certain Jean-Sol Partre, semble vouloir dire que le bonheur ne saurait durer. En effet, l'asphyxie gagne du terrain, et l'on assiste avec effroi au rétrécissement inexorable des appartements. On en veut presque à Vian d'être aussi lucide et de ne pas s'être contenté d'une expérience ludique sur fond de roman d'amour.

Mon appréciation
Comme les études ont repris leur cours normal, et que j'ai donc moins de temps pour écrire de nouveaux billets, voici ma présentation d'un de mes livres préférés à vie, que je classe haut la main parmi mon top 10 personnel de mes meilleures lectures, rien de moins : L'écume des jours, écrit par le fantastique et multidisciplinaire Boris Vian. :)

L’imaginaire de Boris Vian
Boris Vian (1920 - 1959), un artiste aux multiples talents. Écrivain, poète, dramaturge, parolier, musicien (de trompette), chanteur, critique, traducteur, scénariste, acteur, peintre et même ingénieur, il a touché à de nombreux métiers. Mais Vian est un de ces rares artistes à avoir un « style » propre qui le rend immédiatement reconnaissable auprès du public, et ce, peu importe sous quelle forme il présente son art. Dans ses romans, on identifie cet auteur avec facilité, et ce, même s’il explore des « idiomes » différents dans ses récits. Ses jeux de mots et son imaginaire à la fois candide et cruel ont fait sa réputation de grand écrivain en avance sur son temps. Ces jeux et cet imaginaire sont très présents dans son roman L’écume des jours (1946).

Dans son avant-propos, Boris Vian qualifie son histoire de « vraie puisque imaginée ». Écrivain à la plume non-réaliste, Vian préfère en effet faire travailler son imaginaire dans L’écume des jours. Il situe une banale histoire d'amour dans tableau étrange, poétique et totalement imprévisible.

I. L’ambiance onirique et remplie de poésie
Ce qui frappe d'abord, c'est l’ambiance onirique et poétique est annoncée dans l’avant-propos par Boris Vian :
« Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion ».
Ceci se retrouve effectivement tout au long de L’écume des jours dans les images poétiques présentes dans l’écriture de Vian. Par exemple, on y retrouve des phrases telles : « il pinça vigoureusement l'extrémité d'un rayon de soleil qui allait atteindre l’œil de Chloé ». Ce genre d’image plonge le récit dans une ambiance onirique où rien ne semble réel, mais où, pourtant, tout a une logique, dans la mesure où le monde créé dans L’écume des jours se tient. En effet, tout y fait sens pour les personnages puisque nul ne semble surpris de l’étrangeté de cet univers. Aussi, certaines images dépassent le stade de la narration, pour s’inscrire au coeur même du récit. Par exemple, Chloé est atteinte d’un nénuphar au cœur (!). Ces images sont avant-tout des créateurs d’ambiance avant d’être des métaphores ou des symboles. C’est la description du quotidien des personnages, d’un quotidien merveilleux et poétique.

II.  Le jazz
La musique jazz, dont Vian était féru, donne une atmosphère à l’ensemble du roman, un peu d'après-guerre, un peu sensuelle, sans cesse empreinte de poésie et pleinement jeune. Le fond de jazz permet de lire le livre comme on écoute un morceau de musique. Boris Vian a d’ailleurs écrit son manuscrit en s’inspirant de la musique de Duke Ellington, un jazzman qui est cité dans le roman lorsque Colin demande à Chloé : « [ê]tes-vous arrangée par Duke Ellington ?» Ce moment du récit permet de voir Chloé comme une partition sur laquelle l’auteur improvise comme on improvise le jazz. Et si la femme et la musique se confondent, il en va de même des décors. Par exemple, il existe un moment dans le récit où, sous la pression d’une chanson, la chambre carrée des héros devient ronde!

III. La présence des objets vivants
L’écume des jours présente aussi un monde où les objets prennent vie. Ceux-ci sont tout d’abord vivants au sens biologique du terme. Certains agissent comme une plante, comme le carreau brisé de la fenêtre qui repousse. D’autres possèdent de mauvaises intentions, comme la cravate étrangleuse. C’est qu’ils participent à la vie du  roman, sans intention morale. Les objets ont donc des fonctions biologiques et des intentions psychologiques. Ils peuvent aussi participer à la vie en se « collant » à celles des personnages. Par exemple, la chambre rapetissent en même temps que Chloé agonise...
On peut même dire que les objets changent, et ce, contrairement aux personnages qui n’ont pas d’évolution psychologique. Boris Vian s’emploie donc à créer un monde où les choses muent selon la constance ou les changements de la vie, puis meurt sans rien demander en retour. Par contre, les gens, à l'image de leur sentiment aussi froid et dur que le fer glacé, restent immuables (relativement). Les objets vivants participent donc à créer ce monde fantastique, absurde, étrange et illogique.

IV. Les jeux de mots
Boris Vian laisse aussi l’imaginaire s’exprimer sous une forme différente dans ce roman, son deuxième : il laisse en effet les mots en faire à leur tête. Présents dans les jeux langagiers, les mots ont un potentiel imaginatif assez grand chez Vian, et surtout dans L’écume des jours où ils évoluent dans un monde à part. Les jeux de mots sont d'ailleurs, à mon avis, le principal intérêt de ce roman. En voici quelques uns que j'aime beaucoup : on prend les mots au pied de la lettre, en s’excusant de ne pas pouvoir aiguiser une « pointe d’ail » (p. 10) et on émeut les gens en les « pass[ant] à tabac de contrebande » (p. 159) ; on leur fait subir de légères déformations telles « bedon » (p. 170) au lieu de bedeau ; on en crée de nouveau, comme le « pianocktail » (p. 12), qui est un piano permettant de boire la musique. Ces manipulations langagières permettent de faire naître un monde merveilleux où se confondent sens et réalité, angoisse et merveilleux.

En conclusion
Bref, l’ambiance onirique et poétique crée des images frappantes qui influencent l’histoire en la plongeant dans le merveilleux. Le fond de jazz du roman permet de lire le livre comme on écoute une musique. Les objets, quant à eux, en devenant vivants, en participant à la vie et en se transformant, créent un monde aux règles fantastiques. Quant aux jeux de mots, il se révèlent d'une grand créativité et font tout l'intérêt du récit.

jeudi 16 février 2012

Fahrenheit 451 - par François Truffaut

Réalisé par François Truffaut ; Produit par Lewis M. Allen ; Basé sur le roman de Ray Bradbury ; Son par Norman Wanstall ; Musique par Bernard Hermann ; Sorti en 1966
Avec Oskar Werner et Julie Christie
La bande-annonce

Synopsis
Dans une ville imaginaire, à une époque indéterminée, des pompiers chargés de représenter l’autorité et l’obéissance aveugle aux lois traquent ceux qui lisent et possèdent des livres. Dans ce monde totalitaire, où le désir et tout ce qui l’amorce est interdit, règne un culte de l’audiovisuel et un conformisme ambiant. L’histoire de ce film ne concerne pourtant non pas un résistant de ce système, mais un pompier prometteur, du nom de Montag, qui fait la connaissance de Clarisse, sa voisine (une anticonformiste). Un jour, celle-ci lui demande s’il est heureux. Cette question, à première vue anodine, entraînera Montag dans une remise en question de lui-même qui le poussera, non seulement à être dégoûté de son mode de vie avec sa femme Linda, mais aussi à lire un livre...


Mon analyse d'un monde sans lecture (contient des spoilers)
Je vous offre un point de vue personnel sur un de mes films favoris : Fahrenheit 451, une adaptation de François Truffaut datant de 1966 inspiré par le roman de Ray Bradbury. L'histoire d'une société qui interdit la lecture...

1. Tabula rasa
Fahrenheit 451 dépeint une société qui a renié son passé : elle brûle la sagesse et la mémoire des ancêtres contenues dans les livres ; elle se coupe de sa propre enfance en considérant les enfants comme des êtres indésirables nuisant au travail et à la vie de couple – bien que nécessaires à la perpétuation de l’espèce humaine – ; elle aseptise les désirs, source des rébellions, en encourageant les gens dans leur propre narcissisme (tout au long du film, les gens font preuve d’un autoérotisme déconcertant – pensons à la jeune fille qui embrasse son reflet sur la vitre du tramway, à la dame qui caresse son manteau de fourrure ou à Linda qui touche beaucoup à sa poitrine et à ses épaules). En plus de faire table rase de son passé, elle nivelle son présent afin de s’assurer que nul ne dérange l’ordre établi. Pour cela, elle se sert de l’audiovisuel. La télévision, à la base objet de transmission de la connaissance, un véhicule de la tolérance et du partage des valeurs, devient ici un objet d’abâtardissement intellectuel, une machine de l’intolérance envers les différences, et qui impose qu’une seule et unique vision du monde à ses fidèles téléspectateurs.

Linda et ses amies se divertissent ensemble
2. Une science-fiction revisitée
En plus de montrer ce monde sans Histoire, Fahrenheit 451 déconstruit les codes du genre cinématographique dans lequel il s’inscrit : le cinéma d’anticipation. En effet, ce film ne présente ni de « vilains méchants » contrôlant impunément et ouvertement le monde ni une pléthore d’appareils futuristes révolutionnaires. Non. Fahrenheit 451 montre plutôt une société où la tyrannie est celle de la ressemblance, une dictature douce qui s’effectue par le vide intellectuel. Son époque est même impossible à situer dans le temps et l’espace puisque aucune indication sur l’époque ou sur le lieu n’est donnée. Fahrenheit 451 est aussi un film aux couleurs chaudes, contrairement aux autres film du genre qui ont des couleurs froides qui évoquent la robotisation. Le monde de Fahrenheit 451 n’exclut pas totalement la nature non plus. Il est même possible d’y voir que la déshumanisation n’y est pas totale. En effet, on peut prendre l’exemple suivant qui montre que les relations entre les humains existent toujours : Clarisse aborde Montag dans le tramway de façon véritablement naturelle, et cela ne surprend personne. Ce film revisite donc la science-fiction en abordant de façon différente le traditionnel style du cinéma d’anticipation. Les points qui seront abordés permettront de montrer comment, d’un point de vue technique, le traitement du genre permet au film de montrer la dictature de ce monde où la lecture est interdite. Pour cela, les costumes, les décors et le son seront analysés.

3. Les costumes : la tyrannie de la ressemblance
Le monde de Fahrenheit 451 est régit par l’uniformisation. Le lois en vigueur dans ce pays ne servent qu’à rendre tout le monde « égal » (il est intéressant de constater que l’emploi de ce mot fait de la différence un facteur d’auto-discrimination sociale de la part de l’individu anticonformiste) : « On doit tous être pareil. Pour être heureux, on doit tous être égaux. Donc, nous devons brûler les livres, Montag. Tous les livres ». C’est ce prétend le capitaine des pompiers, un exemplaire de Mein Kampf à la main. Cette uniformisation générale a un effet très distinct sur cette société : elle empêche d’appliquer les désirs (et, à long terme, finit par les détruire) et anéantit la revendication. La tyrannie de Fahrenheit 451 fait en sorte que tout se ressemble et se répète. Les costumes reflètent cela. Les gens semblent tous suivent la même mode (une mode colorée et géométrique assez proche de celle des années 60, à quelques différences près comme des attaches en velcro sur des robes d’adultes). Les exceptions sont vite réprimandées. Par exemple, il n’y a qu’à penser à cette scène où la cousine Claudette, animatrice de télévision, commente une émission qui montre des pompiers qui attrapent un jeune homme aux cheveux longs et qui lui coupent de force : « Mais certains garçons boycottent encore le coiffeur. Ici une équipe de nettoyage s’occupe d’un de ces je-sais-tout mal coiffés. Tout cela pour vous montrer que le travail de police peut être amusant ». Cette émission télévisée se termine sur des adolescents heureux de leurs coiffures qui les rendent comme les autres. Dans ce monde, tous portent le même genre de vêtements et de coiffures. Toutefois, les costumes les plus frappants sont ceux des pompiers : leur uniforme de travail est en tissu noir très épais accompagné de bottes et de gants en cuir tout aussi noir. Une impression d’autorité et de mort (intellectuelle ?) se dégage d’un tel uniforme. Il est dit, et ce, dès le début du film, que ces habits font généralement peur aux gens. Ils évoquent la loi toute puissante qu’il faut suivre sous peine de réprimande. Ils évoquent l’esprit d’uniformisation qui règne dans ce film.

Montag et Clarisse qui discutent
4. Les décors : rien de concret, si ce n’est la banalité
François Truffaut a fait un choix au moment du tournage. Il voulait faire de la ville où se déroule l’action de Fahrenheit 451 un endroit à la fois familier et étranger pour le public : « Il s’agit de traiter une histoire fantastique avec familiarité, en rendant banales les scènes trop étranges et anormales les scènes quotidiennes ». Et un tournemain habile, il a rendu ce monde, bien que futuriste, impossible à situer dans le temps. En effet, dans cette ère inconnue, les appareils modernes (le tramway « inversé », les téléviseurs muraux, les maisons ignifugées, etc) côtoient des objets aux allures anciennes (de véritables téléphones antiques [à cornets!], les maisons décorées avec des meubles à la mode à l’époque du film, dans les années 60, etc). C’est un véritable catalogue du quotidien de cette société qui nous est exposé. Cela permet de produire un effet de familiarité assez inquiétant. Peut-être que les repères familiers de Fahrenheit 451 nous disent-il que ce monde est plus près de nous que ce que l’on imagine ? Après tout, les héros de ce films et leur univers sont aussi banaux que M. et Mme tout-le-monde. Enfin, presque, puisqu’un objet par-ci par-là vient tout le temps nous rappeler le caractère futuriste de ce film. Quoiqu’il en soit, grâce à cela, Fahrenheit 451 à la force de transporter ailleurs sans faire perdre à l’esprit que cette société pourrait être la nôtre. De plus, l’univers de ce film est aussi impossible à situer dans l’espace. En effet, aucun nom de pays n’est évoqué. Le public ignore où se déroule l’histoire inquiétante de ce peuple à l’autodafé livresque quotidien! En fait, il est possible de se rendre compte du fort accent britannique des personnages. Cependant, dans un absolu, cela ne permet pas de situer cette histoire en Angleterre puisque rien d’anglais ne transparaît dans ce monde stérilisé de toute distinction. Peut-être que cet accent sera celui du monde futur ? Nous ne sommes certain de rien devant cette société sans passé et sans Histoire.... et donc sans identité! En plus de tout cela, il y a une facette du décor qui est fascinante : la nature. En effet, contrairement au code classique de la science-fiction qui consiste à montrer des univers sans végétation (sauf dans le Space Opéra où l’on aime bien montrer des civilisations sauvages sur des planètes lointaines), où l’humain s’est empressé de perdre tous liens avec la nature par crainte de celle-ci. Ici, la nature existe encore. Reléguée au simple statut de beau décor dans cet univers où les apparences comptent pour beaucoup, certes, mais le symbolisme de cela est tout de même à prendre en compte. L’audiovisuel est le nouveau culte, il domine les aspects spirituels, intellectuels, sociaux et familiaux de la vie des gens. Mais ne dit-on pas que des hommes-livres (libres) vivent dans la forêt, quelque part au-delà de la rivière ? En effet, un groupe de rebelles pacifistes s’est installé au coeur des bois, et y vit en toute simplicité. Totale ? Non, puisque ces gens regardent encore la télévision pour se tenir au courant de l’actualité, et communiquent entre eux grâce à des talkies-walkies. Ils conservent donc des objets de communication. Mais le reclus de la société actuelle passe par un retour à la forêt, un retour aux valeurs matérielles primitives (les valeurs humaines n’y sont toutefois pas retrouvées, car le désir physique semble être inexistant en ce lieu où tout le monde marche sans se toucher et se regarder. Il s’agit ici d’une « utopie décharnée »). La nature reste donc à apprivoiser, mais elle n’est pas reniée non plus au sein de la société des hommes-livres.

La société des Hommes-Livres
5. Un film sonore où la parole est interdite
La symbolique de la parole est importante dans ce film puisqu’il s’agit d’un monde où la parole permet de prendre le pouvoir ou de le revendiquer. Truffaut a réalisé un film où la parole n’a aucun pouvoir réel sur les images, mais où elle a a plutôt une fonction dramatique, psychologique informative et affective. Il n’y a qu’à penser au générique d’ouverture du film qui est si surprenant : au lieu de noms visibles à l’écran, un narrateur (en voix off) se contente de nommer ceux grâce à qui ce film a vu le jour, et ce, sur des images surcolorées d’antennes télévisées toutes plus variées les unes que les autres. Ce concept entre dans la logique narrative de ce film qui nous présente un monde où l’écriture et la lecture est proscrite. Ce concept entre le son et l’image, qui fait la cohérence du film, est aussi la grande force de Fahrenheit 451. Pour cela, les effets sonores seront décortiqués sous ses deux principaux aspects techniques : la musique et le son.

5.1. Quelques mots sur la musique
Il est curieux de constater que la musique qui donne vie à Fahrenheit 451 ne ressemble pas du tout à celle plus « traditionnelle » des films de science-fiction, celle avec de froids effets futuristes qui rappellent soit les robots, soit l’espace. Bien au contraire, la bande sonore correspond à la tendance des années 60, moins symphonique et plus « populaire ». Malgré ce désintéressement social à employer de la musique qui s’inscrit dans « la tradition orchestrale romantique européenne », la bande originale du film demeure riche, vivante et caractéristique. Tout cela s’explique par une décision du réalisateur : « J’ai voulu éviter tout dépaysement systématique. C’est pourquoi j’ai demandé à Bernard Herrmann une musique dramatique de type traditionnel sans aucun caractère futuriste ».

Le monorail futuriste
5.2. L’harmonie du son et le l’image
Comme évoqué plus tôt, la cohérence entre le son et l’image fait la force de ce film de Truffaut.
D’abord, il y a deux sortes de « bruits » qui participent à la richesse du film : les mécaniques et les organiques. Les mécaniques réfèrent à tous les appareils technologiques qui servent au caractère futuriste du film. Ils montrent la déshumanisation ambiante qui s’est emparée de ce monde. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’ils servent surtout à donner un rythme et une structure au film. En effet, ils indiquent souvent un événement et permettent des transitions de scènes (ex : la sirène des pompiers indiquent un autodafé futur, le grichement du téléviseur lors de la tentative de suicide de Linda ajoute une tension quasi-inhumaine à l’événement, etc). Les sons organiques, c’est-à-dire plus humains et naturels, voire artisanaux, sont moins fréquents, mais tout aussi importants, puisque cette rareté rend leur introduction plus réaliste (et permet parfois une introduction dramatique avec, par exemple, le bruit des pages des livres qui brûlent). De plus, l’idée de Truffaut de faire de Fahrenheit 451 un film où le fond sonore est très épuré et où les sons entendus sont souvent les mêmes sert à créer un sentiment de contrôle, comme si le totalitarisme de ce monde dirigeait même les bruits. À certains moments, la répétition des sons évoque même un esprit zombifié, en l’occurrence celui des habitants de cette ville soumise à l’audiovisuel. « Vous appelez “ça” la vie ? Vous n’êtes toutes que des zombies. Comme vos maris que vous ne connaissez même plus. Vous ne vivez pas, vous tuez le temps! », s’exclamera même Montag aux amies de sa femme qui ne discutent que de sujets vides de sens devant le téléviseur. À l’image de ces gens qui ont oublié comment réfléchir par eux-mêmes à force d’accepter ce que la télévision leur propose les sons structurent le rythme du film, son espace diégétique et son temps linéraire sous un sentiment de contôle très puissant. Aussi, l’analyse des sons acousmatiques révèlent que la plupart des voix relèvent d’une mise en scène riche en sens. En effet, les bruits dont la source n’est pas visible à l’écran constituent un univers sonore important dans la logique narrative qui veut que les appareils de communication remplacent l’humanité dans ce monde narcissique. En effet, ce genre de sons provient surtout des hauts-parleurs, de la télévision et des téléphones! Quant aux sons qui fabriquent les ambiances extérieures (acousmatiques eux-aussi), ils sont peu nombreux et servent autant à transcrire le réalisme des scènes que des émotions. Par exemple, il y a des chants d’oiseaux qui font penser qu’il y a encore de la résistance face à cet esprit de dénaturalisation de l’espace. Mais, ces chants si rassurants deviennent angoissants lorsque leur absence se fait sentir dans la scène où la vieille dame s’immole par le feu : une scène qui montre l’autorité des pompiers sur la liberté de penser. Aussi, une scène intérieure est intéressante à analyser du point de vue des sons acousmatiques : celle de l’école. L’enfance, thème cher à Truffaut, n’est pas totalement exclue de ce monde qui préférerait s’en passer. La solution trouvée par ce gouvernement pour empêcher l’émergence d’une créativité ou d’une mentalité nouvelle chez ces jeunes esprits pas encore tout-à-fait abâtardisés par la télévision est la suivante : des formules mathématiques et scientifiques ingurgitées de force sans aucune possibilité de développer sa capacité de résonnement derrière cela. Les enfants récitant sans cesse les mêmes tables des multiplications forment le fond sonore de cette scène qui, pourtant, ne montre pas une ribambelle d’enfants dans le cadre de la caméra, mais seulement deux. Cela s’appelle une projection de l’entendu sur le vu, et crée une grande cohérence, encore une fois, entre l’image et le son. 

Les pompiers qui allument les autodafés
Conclusion
En conclusion, une société sans Histoire est sans identité. Ainsi, tout le monde se conforme, puisque nul ne sait vraiment qui il est (ni d’où il vient ni où il va). Fahrenheit 451 montre une société totalitaire où la parole et le désir sont interdit afin que l’ordre se maintienne. Et puisque les livres sont porteurs de messages qui contredisent les valeurs de cette société, ils sont détruit. Montag devra les lire pour se rendre compte que ce ne sont pas eux qui sont subversifs, mais bien l’État et son contrôle. On lui a menti toute sa vie en l’empêchant d’être heureux et accompli. Sa fuite hors de la société montre son désir de renier ce monde, et de recommencer une nouvelle vie.

samedi 11 février 2012

Dérives - de Biz

Je n'ai toujours pas terminé de rattraper mon retard dans mes billets. J'en suis toujours à écrire des billets sur mes lectures du congé de noël! Mais, peu à peu, l'écart se rétrécit, héhé. Bientôt, je serais peut-être à jour, qui sait? ;)

Quatrième de couverture
À la naissance de son fils, un homme sent tomber sur ses épaules tout le poids du monde. Écrasé par le quotidien, réfugié dans son lit, il entre alors en lui et s'engage sur un radeau dans la traversée du marais.

Avec un sens aigu du détail qui fait mouche, le rappeur Biz explore le côté obscur de la vitalité qui nous fait tout voir en noir et souhaiter ne plus jamais quitter le lit, cette embarcation de fortune qui nous permet de sonder le néant de nos dérives.

Biz est membre du groupe rap Loco Locass depuis dix ans.
Dérives est son premier récit de fiction.

Biz, Dérives, Montréal : Leméac, 2010, 93 p., ISBN : 9782760933163

Mon commentaire
Je n'ai jamais caché sur ce blogue toute la fanitude que j'éprouve pour la rapoésie du groupe Loco Locass. Biz, un des trois membres de ce groupe, est l'auteur de ce court roman, lisible par les nouveaux parents entre deux biberons (ou pas!). Écrit avec la même verve poétique que les chansons des Loco Locass, ce roman nous fait plonger au cœur d'une profonde dépression que Biz, à la dérive, a crée au fond de son lit, en catharsis bienfaitrice.

Baby-blues
Dérives, récit à forte empreinte biographique, peut se concevoir comme une explication à un phénomène social au Québec : la désertion du père. Pourquoi tant d'hommes abandonnent-ils leur famille? Et tant d'enfant sans père? Bien entendu, plusieurs explications existent et cohabitent. Des raisons d'ordre sociologiques, patriarcales, historiques, culturelles... Mais une raison n'est jamais évoquée, en grand tabou de la pensée parentale : les enfants ne font pas nécessairement le bonheur. Lors d'une entrevue, Biz a dénoncé le marketing publicitaire derrière les images photoshopées des parents heureux :
[...] il y a un décalage entre le marketing de la parentalité et ce que c'est au quotidien. Dans les magazines, je voyais des pères aux dents blanches, heureux, pas de cernes... C'est comme une annonce de bière, mais avec des enfants! Ce n'est pas ça du tout ce que j'ai vécu!*
Et c'est la désillusion derrière la parentalité que Dérives abordent de plein front. Au moment de la naissance de son fils, Biz souffrait de troubles dépressifs, voire bipolaires. La société semblait lui faire croire que de s'occuper d'un bambin l'aiderait à surmonter cela, mais il n'en fut rien. Changer des couches ne l'a pas rendu heureux. Mais cela n'est pas la faute de l'enfant (ou même de la conjointe) : l'enfant est né dans l’œil du cyclone. Car, à ce moment de sa vie, Biz, tout comme le narrateur du roman, dérivait sur son lit, dans le marécage métaphorique de ses troubles mentaux. La dépression post-partum touche aussi les hommes, contrairement à la croyance populaire. Une maladie qui pousserait peut-être certains hommes à quitter leur famille, à abandonner conjointe et enfants, ces derniers devenant synonyme de douleur plutôt que de joie. Et Biz ne rejette pas la faute à qui que ce soit. Il ne fait que décrire son propre vécu :
Socialement, au Québec, on est rendu là, dit-il. On peut parler de ça. Je n'ai pas du tout écrit un pamphlet masculiniste, je ne parle pas au nom de ma génération, mais je me rends compte que beaucoup de gens se retrouvent là-dedans. Les filles sont intéressées par mon livre pour le donner à leurs chums, pour comprendre ce qu'ils vivent ou ce qu'elles ressentent elles aussi. On excuse plus les pères de ne pas «tripper» sur les nouveau-nés; pour une mère, qui le porte, qui l'allaite, ce doit être beaucoup plus heavy comme pression».*
Dérives, un petit roman poétique qui reflète l'état dépressif d'un nouveau père qui n'arrive pas à trouver le bonheur au quotidien, et qui se réfugie dans son lit afin de dériver dans le marais de ses états d'âme.

Extrait
Voilà, c'est fait, mon fils est né. Un accouchement comme tous les autres : dans les cris, les pleurs et le sang. Une révolution, en somme. Et pas vraiment tranquille... Mais une révolution à l'envers, qui aboutirait à l'installation d'un roi dans une république jusque là plutôt pépère. Un petit tyran à l'égo hypertrophié dont les moindres caprices doivent être immédiatement satisfaits, sous peine de hurlements stridents. 
Et pourtant, ce petit prince incarne le mystère d'un amour alchimique, une création parfaite, jaillie des limbes. Un geste à la fois banal et remarquable. Remarquable en ce qu'il mène à l'immortalité. Nul besoin de religion ou de croyances surnaturelles pour espérer la vie éternelle. Se prolonger soi-même, et se savoir la prolongation de ses ancêtres, c'est bien assez pour se croire immortel. (P7)

*Une excellente critique littéraire sur le sujet : Les dérives d'un père indigne.

dimanche 5 février 2012

Des souris et des hommes - de John Steinbeck

Des souris et des hommes (Of Mice and Men). - John Steinbeck. - Traduit de l'américain par M.-E. Coindreau. - Préface de John Kessel. - Gallimard. - Coll. Folie. - 2011 (1937). - ISBN 978-2-07-036037-6

Quatrième de couverture
Lennie serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
- Lâche-moi, cria-t-elle. Mais lâche-moi donc. Lennie était affolé. Son visage se contractait. Elle se mit à hurler et, de l’autre main, il lui couvrit la bouche et le nez. – Non, j’vous en prie, supplia-t-il. Oh, j’vous en prie, ne faites pas ça. George se fâcherait. Elle se débattait vigoureusement sous ses mains… – Oh, je vous en prie, ne faites pas ça, supplia-t-il. George va dire que j’ai encore fait quelque chose de mal.
Il m’laissera pas soigner les lapins.

Prix Nobel 1962.



Mon appréciation
Voilà un classique que je rêvais de lire depuis des lustres. Chose faite et appréciée! J'ai pris le temps de le bouquiner, petit à petit, un chapitre à la fois, afin de bien saisir l'essence même de l’œuvre et de mieux apprécier son histoire.

Une amitié masculine
Des souris et des hommes, c'est un récit fou au cœur de la campagne américaine. Le récit d'une amitié incomprise, plus forte que tout. Une amitié masculine. Avez-vous réalisé jusqu'à quel point les œuvres montrant les puissantes relations amicales entre hommes sont rares? Tant dans la littérature que dans le cinéma. Comme si l'amitié entre mâles était un sujet tabou. Comme si on avait pas le droit de dire que deux hommes peuvent ressentir l'un pour l'autre un attachement sincère et infini, sans que cela soit de l'amour physique. On montre souvent des réalisations mettant en scène des amis dans des relations superficielles, rarement des relations qui vont au-delà des modèles patriarcaux d'hommes sans émotion, qui ne cèdent pas à la « sensiblerie féminine » de l'amitié, qui ne fréquentent les autres que pour la bière et les barbecues, comme un « vrai mâle » se doit de le faire... Heureusement, certain(e)s osent représenter des relations plus proches de la réalité avec des histoires d'amitiés si solides qu'un ouragan ne pourrait qu'à peine les ébranler. Je pense à Parle avec elle de Pedro Almodòvar. Et à Des souris et des hommes. Mais j'ai du mal à en trouver d'autres, sachant aussi que je n'ai pas tout vu et tout lu. En connaissez-vous des œuvres où une profonde amitié masculine est au cœur même de l'histoire? Il ne s'agit pas d'une question rhétorique. J'ai envie de découvrir des livres et des films sur ce sujet, ma foi, fort passionnant.


Pour en revenir à l’œuvre, Des souris et des hommes, c'est une amitié qui va au-delà de la vie et de la mort. George est ami avec Lennie. Rien de surprenant, si ce n'est que ce dernier souffre d'un retard mental flagrant. À cette époque, on enfermait les gens comme Lennie. On les attachait à des lits jusqu'à la fin de leurs jours. George à pris son copain en charge. Ils parcourent les routes ensemble, et trouvent du travail, jusqu'à ce que Lennie fasse une nouvelle gaffe qui les oblige tous les deux à s'enfuir. C'est leur lot quotidien, qui se répète sans cesse. George prétend qu'il ne fait qu'endurer Lennie, et qu'un jour, il en aura marre. Pourtant, on sent derrière son armure un amour sincère pour son compagnon de route.... Un homme ne peut donc jamais parler ouvertement de son amitié? Il semble que non, du moins, pas à cette époque, pas dans les États-Unis de 1937, où la seule façon pour un homme, semble-t-il, d'exprimer son amitié, est de le démontrer sans le dire. George prend soin de son ami. Il le gronde, mais ne le frappe jamais. Il est déçu lorsque son ami écrase des souris entre ses mains, mais il a aussi conscience du fait que Lennie ne connaît pas sa force, et n'est, en réalité, qu'un enfant dans un corps d'homme exceptionnellement fort. Il aime toucher les choses douces, comme la fourrures des souris. Ce n'est pas de sa faute s'il appuie trop fort. George empli l'esprit de Lennie de rêve, pour le consoler et se donner l'illusion que leur amitié est socialement possible. A force, lui-même finit par se convaincre que leur rêve de posséder une ferme et des lapins à caresser est possible. Et même tout prêt. Un dernier mois de travail, et il pourra toucher le rêve. Si Lennie ne fait pas de nouvelles gaffes...

Mais dans ce monde, l'on traite les hommes comme Lennie de la même manière que les animaux. On ne leur pardonne pas la moindre erreur. On ne les garde que s'ils sont utiles. Les hommes faibles deviennent des souris dans les mains de la société. Au moindre moment, celle-ci peut l'écrabouiller avec sa pression trop forte. Pour survivre, il faut se faire discret, et ne jamais rien revendiquer qui soit au-dessus de sa condition. À société spéciste, société raciste, sexiste et élitiste. Il faut rester à sa place pour ne pas s'attirer la foudre de son entourage critique. Le problème, c'est que Lennie est une âme pure, qui ne comprend pas ces principes de discrimination. Il admire sans condition George, et est prêt à tout pour ne pas lui déplaire. Ce qui met ce dernier dans l'embarras, lui donnant sans le vouloir la responsabilité de la protection de son ami. Une responsabilité qui devient un fardeau au fil du temps, mais dont il ne peut se défaire, trop attacher à son compagnon de route. L'amitié est à la fois une chose précieuse et terrible.

Un roman au-delà des préjugés. Un roman d'amitié, mais aussi de rêves et de désillusions. Un roman qu'il faut lire au moins une fois dans sa vie.

Lu dans le cadre du challenge Un classique par mois

mercredi 1 février 2012

Choses à ne pas faire - de Bruno Blanchet

Blanchet, Bruno. Choses à ne pas faire. Les Intouchables. 2000. 170 pages. ISBN 2-89549-012-0

Quatrième de couverture
Qui n'a jamais rêvé de faire des choses qui ne se font pas? Voici enfin, rassemblées dans un même livre, toutes les choses à ne pas faire.  Bruno Blanchet, seul expert connu dans ce domaine, les a recensées pour vous au terme de plusieurs années de recherches intensives. Encore bien plus, il les a toutes testées pour vous. Il y a perdu sa réputation, une partie de sa santé et son petit chien Bouchon. Ce livre doit être manipulé avec beaucoup de précautions. Il ne doit pas être mis entre toutes les mains. Et si jamais il vous venait l'idée de faire une de ces choses à ne pas faire, ne venez surtout pas nous dire que nous ne vous avions pas dit de ne pas la faire.

Bruno Blanchet est comédien et chroniqueur. Il a participé pendant plusieurs années à l'émission La fin du monde est à sept heures.


Un chose à faire : lire ce livre
J'ai souvent dit que je n'appréciais pas beaucoup les humoristes québécois, trop superficiels et d'une verve pas assez sociale et politique à mon goût. Bruno Blanchet fait partie des exceptions à ma règle. Je l'adore! Tout simplement. Il ne touche pas aux politicailleries, préférant trouver sa voie dans le loufoque et l'insolite. Il me fait rire par ses blagues sans queue ni tête, ses imitations méchantes et ses personnages surréalistes. Il me détend. Je me sens bien lorsque je regarde ses vieux sketchs sur youtube, en souvenir de l'époque où il participait encore aux émissions télé. ^^

Cet humour absurde et décalé à l'extrême s'étale dans tout son génie dans ce petit recueil de pensées humoristiques, dont le concept est de nommer des choses à ne pas faire, jamais, à moins d'avoir envie de vraiment énerver les gens. Le livre contient environ une pensée (parfois plus) par page, pour un total de cent soixante-dix qui se lisent en moins d'une demi-heure, ou, comme je l'ai fait, petit à petit au cours de la journée pour mieux en savourer chaque mot. Bruno Blanchet est ici d'une drôlerie incroyable. J'ai ris plusieurs fois à haute voix, j'ai lu et relu certaines phrases sans m'en lasser, j'ai apprécié chacune des blagues à leur juste valeur.

J'ai maintenant bien envie de lire ses autres livres, différents, où il raconte ses voyages à travers le monde avec humeur et poésie. Choses à ne pas faire, un petit ovni à découvrir pour se remonter le moral comme jamais.

Extraits
« Il ne faut pas se déguiser en mollet dans une exposition canine ». P10

« Si vous allez dans le bois et qu'un arbre vous sourit et vous prend dans ses bras, cessez immédiatement de cueillir des champignons ». P47

« Il ne faut jamais faire exploser quelqu'un qu'on aime ». P48

« Dans un lieu public, quand on ne connaît personne et qu'on veut se faire un ami, il faut toujours éviter de jouer avec ses mamelons ». P87

« Pour faire des bébés nachos, mettez un nacho mâle sur un nacho femmelle. Évidemment, le nacho mâle, c'est celui qui a la moustache ». P148

Bonus
Des choses à ne pas faire... en vidéo!
Un extrait de La fin du monde est à sept heures

Liens
Le site officiel sur Bruno Blanchet