lundi 28 mars 2011

Bedevilled - par Jang Cheol-soo

 Bedevilled / Blood Island /  Kim-bok-nam Sal-in-sa-eui Jeon-mal
Réalisé par Jang Cheol-soo
Avec Young-hee Seo, Sung-won Ji Seo, Min-ho Hwang
Date : 2010

Synopsis
Hae-won, banquière à Séoul, assiste à une tentative d'homicide. Perturbée, elle fait une faute professionnelle qui la voit obligée de prendre des vacances. Se souvenant de Moodo, l'île où habitait ses grands-parents, et où elle avait été heureuse lors d'une visite dans son enfance, elle décide d'y séjourner un temps. Toutefois, sur l'île, elle est choquée en voyant que son amie d'enfance, Bok-nam, est maltraitée par tous les habitants. Victime d'incestes et de viols, subissant des violences physiques et morales, et forcée de travailler pour les autres, Bok-nam supplie Hae-won de l'emmener à Séoul avec sa fille qu'elle désire protéger. Hae-won refuse, ne voulant pas s'impliquer sans cette situation sur le point de déraper vers l'horreur...

Il y a de ces films comme cela, marquant, bouleversant, dont on sait qu'il va nous suivre longtemps. Bedevilled est ainsi, à la fois d'une beauté époustouflante et d'une horreur sans nom.

Tragédie moderne de la Corée, Bedevilled se révèle lentement être une allégorie de la violence faite aux femmes. L'histoire menée lentement et avec adresse instille l'angoisse dans nos esprits, pour se tranformer de simple drame à un grand bain de sang philosophique. Intelligent et cruel, le récit atteint l'équilibre parfait entre réflexion sociologique et suspense horrifique. Il ne s'agit pas ici de série B. Bedevilled révèle un scénario et une réalisation menés par une main de fer, qui ne sombrent jamais dans la facilité. Ainsi, le colossal contraste entre la vie à la ville et l'existence à la campagne est bien exploité, sans jamais sombrer dans le cliché et dans la mauvaise foi. Séoul, moderne, remplie de promesses, engendre l'hypocrisie et la lâcheté. Les habitants insulaires, eux, effraient par leur rigidité archaïque, pour ne pas dire ancestrale. Mais si les deux réalités amènent des atrocités radicales sur lesquelles les gens préfèrent fermer les yeux, il n'en demeure pas moins que l'urbanité ne propose que la fuite devant le conflit, alors que le rural offre la possibilité d'une rébellion par le retour à la nature. Ne parle-t-on pas à plusieurs reprises dans le film de s'alimenter avec de l'herbe et des feuilles pour se sustenter à l'heure du repas? En acceptant sa nature animale, l'humain peut se libérer de ses peurs, et laisser exploser sa violence libératrice. La rédemption passe ici par l'acceptation, et non par le refuge dans l'hypocrisie.


La beauté du paysage côtoie l'innocence brisée dans une valse à laquelle est conviée Hae-won (Sung-won Ji Seo) bien malgré elle. Devant la barbarie monstrueuse et les humiliations que subie son amie d'enfance Bok-nam (Young-hee Seo), elle devra choisir entre s'impliquer ou renoncer à faire partie du monde. Si le choix paraît évident à la lecture de cette dernière ligne, dites-vous que vous n'avez pas encore visionné le film où chaque petit choix à une incidence énorme sur l'entourage des gens, mais surtout sur sa vie propre. Jusqu'où peut-on prendre des décision pour notre bonheur et notre liberté? Existe-t-il une limite à ne pas franchir? Bok-nam est le bouc émissaire de son village misogyne et primaire. Elle a autant de droits qu'un chien, et tous l'accepte dans cette Corée qui ne se préoccupe pas du sort de ses faibles, tant dans la cité que dans la nature. Mais si le faible décide de devenir fort, comme le chien battu qui décide de mordre la main qui le frappe, que devient alors l'ordre social initial? Jusqu'où la rébellion peut-elle mener? Dans ce film, elle atteint des extrêmes. La victime possède encore plus de force que le bourreau, mais on la disait faible. L'ordre établi en faisait un chien, elle se révèle être un loup.


Young-hee Seo offre une performance à donner l'envie de se couper les paupières pour mieux l'observer. À la fois froide et bouillante, elle porte sur son dos tout le film, le personnage de Hae-won se révélant au final relégué au second plan. Le dos courbé, elle montre une force et une endurance physiques impressionnantes lors des travaux d'agriculture ou de rénovation. Ses yeux d'un désespoir poignant affichent néanmoins une envie de vivre qui surpasse la condition de son propre corps. Young-hee Seo joue autant avec le physique que l'intériorité de son personnage, pour surpasser la simple coquille et donner vie à Bok-nam sous nos regards. Le film, qui se veut d'une profondeur exquise, en est ainsi renforcé, acquérant une subtilité importante en accord avec son scénario. On pleure avec Bok-nam, on est en colère avec elle... on approuve même ses gestes, ou presque. Le magnifique générique final, montrant les deux fillettes jouant avec innocence et mangeant des feuilles, vient renforcer cela, montrant que la violence de cette sorte n'est jamais simple et gratuite, mais plutôt le fruit d'une torture morale qu'un esprit ne peut soutenir sans sombrer dans la folie. Oui, Bedevilled est vraiment un film qui vous suit longtemps après son visionnement...

dimanche 27 mars 2011

I Confess - par Alfred Hitchcock























Fiche technique
Titre : I confess / La Loi du Silence
Réalisation : Alfred Hitchcock
Production : Alfred Hitchcock, Warner Bros
Scénario : George Tabori et William Archibald, d'après la pièce de Paul Anthelme, Our Two Consciences.
Année : 1952
Avec : Montgomery Clift, Anne Baxter, Karl Malden
Résumé
Dans la ville de Québec, Otto Keller, vêtu d'une soutane, assassine un avocat pour lui dérober son argent. Le même soir, il confesse ce meutre auprès du père Logan. Quelques jours plus tard, deux fillettes déclarent avoir vu un prêtre quitter les lieux du crime le soir du drame. Les soupçons de l'inspecteur Larrue, chargé de l'enquête, se portent aussitôt sur le père Logan, qui ne peut se défendre en révélant le véritable coupable, secret de la confession oblige...

Un chef d'oeuvre hitchcockien... pour les catholiques?
I confess est classé parmi les films mineurs d'Alfred Hitchcock, mais est souvent considéré comme sa plus belle oeuvre esthétique, voire son chef d'oeuvre visuel. Comment expliquer alors que ce film policier soit si méconnu? Dans ses entretiens avec François Truffaut, le cinéaste explique qu'il savait déjà que le sujet de son film ne parlerait pas à son public états-unien habituel, généralement composé de protestants et d'athées. Selon lui, pour un non-catholique, cette histoire de secret de la confession était un non-sens, ne pouvant pas comprendre la motivation éthique et spitituel qui pousse un prêtre à se faire accuser d'un meutre plutôt que de dénoncer le coupable. Possédant des origines irlandaises, Hitchcock a été élevé dans la tradition catholique, mais n'a pourtant pas tourné son film dans le pays de ses ancêtres. Présenter l'histoire d'un prêtre ayant déjà été amoureux d'une femme dans le passé, et qui lui a même fait un enfant, ne pouvait pas se faire dans l'Irlande religieuse de l'époque. Alors, Hitchcock s'est tournée vers le Québec des années 1950, qui était probablement la deuxième terre la plus catholique au monde, alors. Toutefois, Hitchcock a dû modifier quelque peu son scénario : plus d'enfant illégitime, et le prêtre devait survivre à la fin, n'étant plus condamné à mort. La relation amoureuse devint édulcorée, mais toujours présente. Hitchcock devait aussi se plier à la volonté de chaque prêtre qui lui ouvrait la porte de son église. Acceptant le compromis, le cinéaste réalise tout de même un film intimiste rempli de beauté et de personnages captivants, mais destiné à un public très restreint.


La somptuosité de l'image
La ville de Québec possède une atmosphère étrange, idéale à ce genre de film où le mystère et l'enquête se côtoient, car, enfant du film muet, Hitchcock semble avoir emprunté l'iconographie d'I Confess aux films expressionnistes et noirs. Le maître du suspense a mis au service du récit les différents éléments du décor. Ainsi, le château Frontenac renforce l'exotisme du film, et semble lui donner ce petit côté irréel. Les aspects cléricaux de la ville appuient l'idée de la mainmise religieuse sur l'idéologie populaire. Les escaliers extérieurs aux immeubles, singularités architecturales qui semblent fasciner les Britanniques, permettent à Hitchcock d'introduire une des plus belles scènes de son cinéma. Je parle de la scène où Ruth (Anna Baxter) descend les escaliers, toute de blanc vêtue, pour rejoindre Logan (Montgomery Clift) qui l'attend amoureusement. Ce moment exprime le bonheur et l'innocence, fait très rare dans la filmographie de ce cinéaste. Le côté presque onirique de Québec, et le fait que ce passage soit un souvenir de Ruth, donc un moment intérieur et subjectif, permettent à Hitchcock de créer cette scène qui pourrait se résumer en un seul mot : MAGNIFIQUE! Puisque Hitchcock avait conscience qu'I Confess serait peu diffusé, il s'est permis beaucoup de libertés, dérogeant dès lors de plusieurs de ses tics habituels, et se permettant la beauté naïve.
On peut aussi prendre en compte dans le visuel les lignes naturelles créés par la ville de Québec, et les lignes artificielles issues de l'imaginaire du réalisateur. Tout le film semble pensé selon ces lignes. Les horizontales me paraissent liées au paysage, à l'exotisme et au bizarre. Les lignes diagonales semblent soutenir les scènes amoureuses et les souvenirs. Et les lignes verticales me semblent évoquer la droiture morale et politique du protagoniste, le père Logan, reflétant par là son conflit interne entre liberté et foi. D'ailleurs, la grande majorité de l'action, à l'écran, se déroule à droite. Cette façon presque mathématique de penser, combinée à la subjectivité des personnages et des sentiments, donnent à I Confess une vie entre l'irréel et le réel, entre le fantômatique et le matériel.


En conclusion, I Confess est difficilement accessible pour qui ne comprend pas bien le concept de la confession catholique, mais il vaut la peine d'être vue pour sa magnifique photographie, ainsi que pour l'interprétation des personnages, dont j'ai très peu parlée d'ailleurs, mais qui n'est pas à négliger pour autant. En effet, Clift, Malden et Baxter offrent une performance égale à la hauteur de leurs réputations, même si l'interprétation de Clift lui valut un différent irrémédiable avec Hitchcock. En effet, le maître du suspens n'a jamais été reconnu pour son amour des comédiens, et Clift, soucieux de rendre visible à l'écran l'intériorité de son personnage tourmenté, n'a pas aimé travailler avec le réalisateur qui ne lui donnait que trop peu d'indications sur son jeu. Étant donné que Montgomery Clift demeure encore à ce jour un des acteurs les plus marquants du vingtième siècle grâce à ses innovations et à l'influence qu'il a pu avoir sur hollywood, on ne lui reprochera pas. D'ailleurs, il a parfaitement réussi à rendre l'intériorité de son personnage pourtant taciturne (La loi du silence comme l'indique le titre français...) avec ce regard tourmenté, avec une tristesse constante presque inquiétante. De plus, le côté légèrement francophone du film, fait rare pour un film hollywoodien à l'époque, confère aussi à I Confess un côté intéressant, presque sociologique pour le spectateur d'aujourd'hui. Sans parler que ce film diffère largement du style hitchockien habituel, offrant ici et là des choses différentes, parfois ratées, parfois réussis, de la part d'un cinéaste trop habitué à refaire la même formule. Bref, c'est un film que je conseille absolument. Ne serait-ce que pour voir un Hitchcock différent.

samedi 26 mars 2011

Théâtre de revenants - de Steven Heighton

 Théâtre de revenants de Steven Heighton.
Traduit de l'anglais par Christine Klein-Lataud.
L'instant même, Québec, 1994, 315 pages.

À Osaka, les écoles d'anglais fleurissent. Beaucoup d'étrangers habitent le quartier bon marché du parc Nagai — sans pour autant se rencontrer jamais. Steven Heighton raconte l'histoire de ces Occidentaux qui veulent tout savoir, tout sentir du Japon. Un missionnaire canadien divorcé y retourne avec la fille qu'il a eue d'une Japonaise, un professeur d'anglais est enlevé par des malfrats qui se disent les samouraïs de notre temps, un autre doit affronter l'écart qui se creuse de jour en jour entre le Japon de ses rêves et celui de ses élèves. D'un proverbe ancien, de la Deuxième Guerre mondiale, de la pluie qui tarde, Steven Heighton crée des scènes prenantes sur l'impossible rencontre de deux mondes. 
Mon point de vue
Je n'avais jamais lu de livres canadiens-anglais (non, même pas Nancy Huston), alors, connaissant mal cette littérature, je me suis attelée à la besogne de la découverte culturelle. C'est par un recueil de nouvelles que j'ai donc commencé : Théâtre de revenant de Steven Heighton.

Chacune de ces nouvelles ont un point commun (au minimum) : l'Asie. En effet, Heighton raconte le « clash » entre l'Extrême-Occident et l'Extrême-Orient, le dépaysement culturel des Canadiens anglais et des États-Uniens au pays du Soleil-Levant.

Comme dans la majorité des recueils de nouvelles que j'aie pu lire dans ma vie, l'équilibre n'est pas parfait, les nouvelles tanguant entre le captivant et l'inintéressant, entre l'action et l'intériorité. Mais à la manière du Taijitu, le tout est indissociable. Le yin se mêle au yang, et nous montre autant d'illusions brisées que de rêves réalisés. Au fond, on pourrait dire que ce recueil porte sur le fait que le voyage permet à l'humain de se réaliser, en le confrontant à une culture différente afin de l'aider à mieux comprendre la sienne.

Il n'y en a qu'un point négatif, mais il me dérange beaucoup. La raison pour laquelle je n'avais jamais posé les yeux sur un livre canadien-anglais, c'était par crainte d'y trouver des propos haineux emvers les Québécois ou les Premières Nations. Hé bien, ma crainte fut fondée, même si légèrement, si je me fis à la dernière nouvelle, « Les sentiers célestes de l'Empereur », où des personnages pestent contre « ces frenchies meurtriers sur les autoroutes, qui refusent de se soumettre à la toute puissance de la couronne britannique, et qui en plus, obligent les gens vivant sur le territoire du Québec depuis plus de cinq générations à apprendre au moins un mot de français... ». Je paraphrase, mais c'est à peu près cela que disent les personnages. Déçevant, vraiment. Cela ne me donne pas envie de renouveler l'expérience. Mais d'un autre côté, je me dis que je ne dois pas buter sur un seul propos, et continuer mes découvertes dans la littérature de cette culture.

D'ailleurs, dans l'ensemble, ce recueil est très bien, excellent même. Certaines nouvelles sont bouleversantes et marquantes pour l'esprit. Elles nous suivent durant plusieurs jours. C'est pourquoi je le recommande malgré ce petit côté royaliste qui transparaît parfois, surtout dans la dernière nouvelle (juste avec son titre, on peut y voir un lien). Je ne me suis pas ennuyée durant cette lecture, et son format m'a permis de l'étendre sur plusieurs semaines sans problème. L'écriture est intelligente et réfléchie. À mettre dans la liste « à lire » donc...


Extrait
Quelques jours avant Noël, à la fin de mon contrat d'enseignement, je fus kidnappé par la mafia japonaise.
Juste avant mon premier cours de l'après-midi, j'entendis la porte de l'école s'ouvrir brutalement. J'étais à la machine à café, et je me retournai avec un sourire poli, m'apprêtant à saluer un élève arrivé en avance ; deux yakuza se tenaient sur le seuil. Le trapu portait des Ray-Ban métalissées et les yeux minuscules du grand furetaient partout, inquisiteurs. Blousons de cuir brun cafard, pantalons noirs bien repassés, chaussures vernies à bout pointu. Cheveux permanentés, bien sûr, quoique ceux du grand se soient résumés à quelques boucles sur un crâne luisant.
- Théâtre de revenants, « "Un homme sans maître..." », p. 259.

lundi 21 mars 2011

Stéphan Bureau rencontre Robert Lepage

BUREAU, Stéphan et LEPAGE, Robert. Stéphan Bureau rencontre Robert Lepage, Amérik Média, Coll. Contact, Montréal, 2008, 201p.

Résumé
La notoriété de Robert Lepage n'est plus à faire, si bien que de Londres à Las Vegas en passant par Tokyo, on se l'arrache. Metteur en scène, producteur et acteur, Robert Lepage est probablement l'homme de théâtre le plus connu du grand public québécois et certainement l'un des mieux cotés sur la scène internationale. Toutefois, qui connaît vraiment l'homme réservé qu'est Robert Lepage? Stéphan Bureau, qui l'a interviewé durant deux jours, a réussi à le faire parler.

Dans l'une des rares entrevues qu'il a accordées au cours des dernières années, Robert Lepage aborde aussi bien son enfance difficile que sa fascination pour l'Asie, aussi bien sa conception de l'art que son rythme de travail frénétique. Dans cet entretien mémorable, on apprend notamment que Robert Lepage est avant tout un être timide, qu'il se qualifie de jetrosexual à cause de ses habitudes de voyage et qu'il amène à Québec les plus grandes troupes de théâtre du monde pour répéter. Entre citoyen du monde et gars de Québec, c'est le portrait d'un Robert Lepage plus vrai que nature, fait de chair plutôt que de mythes, qu'a réussi à immortaliser Stéphan Bureau.

Mon appréciation
Les détracteurs peuvent dire ce qu'ils veulent au sujet de Stéphan Bureau. Pour moi, il demeure un excellent animateur. Il sait écouter ses invités, et pousse jusqu'au bout les entrevues, tout en ouvrant la voie à des côtés encore inexplorés de certaines personnalités publiques. Alors, lorsque je suis tombée sur la retranscription de sa rencontre avec Robert Lepage, un homme que j'admire énormément, j'ai sauté sur l'occasion de lire cet essai aussi fascinant qu'instructif sur un des plus grands hommes de théâtre de notre époque.

Robert Lepage est à mes yeux un grand homme, tout en modestie et en créativité. J'ai lu plusieurs des pièces d'Ex Machina (sa compagnie de théâtre), vu ses films, admiré les spectacles du Cirque du Soleil qu'il a mis en scène. C'est donc avec passion et admiration que j'ai dévoré d'un coup cet entretien, où Bureau nous livre une conversation très humaine et humble, qui nous aide à mieux saisir l'essence personnelle de Robert Lepage.

Extrait
« J’ai réalisé qu'il y avait peut-être un déséquilibre entre mon désir de vouloir me faire admirer et mon désir d’admirer. Je dis pas qu’il faut être uniquement des admirateurs, mais il faut avoir un équilibre, il faut pas oublier le plaisir qu’on avait avant que les gens nous admirent : le plaisir qu’on avait d’admirer les autres. »
p. 134

J'ai réussi à trouver une vidéo un peu biographique sur le net, avec un extrait de l'entrevue en audio et visuel!
Vous m'excuserez la petite musique pédante au début, je n'y suis pour rien, la vidéo est conçue ainsi! XD

Le site de Contact, l'émission de Stéphan Bureau, offre également plusieurs extraits vidéo en écho au livre. Je crois que c'est le lien le plus intéressant que je peux vous refiler en rapport à ce billet :
http://www.contacttv.net/i_extraits_video.php?id_rubrique=166

vendredi 18 mars 2011

J’parle tout seul quand Jean Narrache

CODERRE, Émile (pseudo. Jean Narrache). Quand j’parle tout seul, Éditions de l’Homme, Montréal, 1961, 143 p
Dans le Québec des années 1930, dans un contexte de quasi-traumatisme dû à la crise économique, Émile Coderre (1893 - 1970) publie le recueil de poèmes Quand j’parle tout seul (1932) sous le pseudonyme de Jean Narrache, un nom qui reflète et intègre la misère monétaire et sociale, montrant par là qu’il prend parti pour les démunis, les non-instruits, les solitaires, ceux qui sont exploités par les profiteurs de la bourgeoisie anglaise, juïve et canadienne-française...

Le paysage que brosse Jean Narrache dans ce recueil est urbain : il décrit la vie des petites gens aux prises avec la pauvreté de la ville — sans jamais montrer ni condescendance ni pitié. Il saisit une scène sur le vif, comme un peintre attentif aux détails, mais aussi à l'ensemble du tableau. Il décrit, dénonce, médite, rit, s'attriste et se moque tout à la fois. Il n’y a rien d’exotique ici ou d’idéaliste. Jean Narrache pourrait être associé au mouvement réaliste, car ce qu’il exprime, et la manière dont il l’exprime collent au réel. En effet, Jean Narrache se sert de thèmes universels, mais utilise un langage populaire, difficilement accessible, afin que celui-ci mette de l'avant le parallèle entre la pauvreté à la fois matérielle et langagière. La forme et le message ne forment donc qu'un. Il ne sombre jamais dans la vulgarité, mais malgré tout, on peut affirmer que cette tentative maladroite de retranscrire le langage du peuple aide à rendre les paysages urbains réalistes, en plus de permettre à une audience de lecteurs, qui contient à la fois les classes bourgeoises et populaires, de s’identifier au personnage, de le comprendre, d’avoir de la compassion pour lui et les semblables qui partagent ses aventures.
Dans ce recueil, Jean Narrache « peint » au gré de ses promenades observatrices des paysages urbains sans moraliser, mais lourd de sens pour les âmes sensibles à la condition sociale et humaine.

Au début, je voulais recopier certains poèmes ici, mais je sais après tout que personne ne lit les billets trop long, alors je vous refile quelques liens à lire si vous êtes curieux de découvrir ce poète trop méconnu.


Et pour mon bon plaisir, un poème bonus (je ne peux pas m'en empêcher!) :
Blâmons pas les professeurs

Moi, j'ai pas fait un cours classique ;
j'été rien qu'à l'école du rang.
Ça fait qu'c'est ça qui vous explique
que j'pass' pour être un ignorant.

Mais à l'écol' d'l'expérience,
j'ai r'çu mon diplôme à coups d'pied
où c'est qu'l'instruction puis la science
rentr'nt jamais sans nous estropier.

Ça fait qu' quand y'en a qui parolent
contr' nos grand's universités,
nos collèg's puis nos p'tit's écoles,
j'os' rien dir' ; j'suis pas fûté.

Seul'ment, avant de mettr' la faute
sur les maîtr's, les prêtr's puis les Sœurs,
faudrait ben se d'mander, nous autes,
quels élèv's qu'ont les professeurs.

Pensons, avant de j'ter la pierre,
à tous ceux qui doiv'nt se saigner
en travaillant à p'tit salaire
pour se dévouer à enseigner.

Si l'z'enfants qu'on envoie instruire
sont des vrais cruch's et des nonos,
les professeurs ont beau s'détruire,
y'en f'ront jamais des Papineau...

Quand un' bonn' poul' couv' des œufs d'dinde,
--- mêm' la meilleur' d'votr' poulailler, ---
faut pas la blâmer ni vous plaindre
qu'ça soit des dind's que vous ayez !

Aussi, une petite critique intéressante du recueil sur ce blogue (une référence dans le genre!) :
http://laurentiana.blogspot.com/2007/10/quand-jparl-tout-seul.html

jeudi 17 mars 2011

Pas encore Elvis Gratton - par Pierre Falardeau

Pas encore Elvis Gratton est le troisième court métrage d'une série de films qui mettent en scène l'anti-héros, Bob Gratton, dit Elvis. Les trois premiers courts métrages furent réunis en un seul film sous le nom d'Elvis Gratton : Le king des kings.
L'analyse du premier court métrage se trouve ici.
L'analyse du deuxième, ici.

Coréalisés, scénarisés et montés : Pierre Falardeau et Julien Poulin
Avec : Julien Poulin, Yves Trudel, Denise Mercier
Année : 1985
Durée : environ 35 minutes

Résumé
Bob « Elvis » Gratton est revenu de Santa-Banana bien décidé à redresser les torts de la société québécoise. Il magouillera donc avec quelques agents politiques de son « milieu » pour parvenir à ses fins.

Comme pour les deux analyses descriptives précédentes, ce film court sera détaillé scène par scène pour en révéler tout le potentiel.


Scène 1 : « Moé aussi, j'en ai plein l'cul d'l'hiver, joyeux Noël ! » est la première phrase qui ouvre ce film au personnage tout aussi classe que sa phrase...
Bob Gratton est de retour au pays, après ses vacances à Santa-Banana, et se heurt déjà aux difficultés de déneigement. Les hivers québécois sont durs, Bob!
À noter la tuque « Oui mon colonel », qui nous montre encore jusqu'à quel point Bob est obsédé par l'autorité jusque dans ses habits.

Scène 2 : Un long plan séquence présente un tableau bien... décourageant. Une affiche « Joyeux Noël, Québec Hawaï » donne le ton de l'endroit : un souper de bourgeois (dont la majorité sont des parvenus si je puis dire) fêtant la naissance du petit Jésus dans l'abondance au gré des danses hawaïennes, des avaleurs de sabres, de chandails de hockey et d'un orchestre bavarois... À se demander si ces personnages ont décidé de suivre toutes les modes du moment en même temps pour les réunir en une seule, incongrue et sentant le mauvais goût.

Quoiqu'il en soit, Bob s'amuse à déconner sur le tremplin de la piscine intérieure aux sons des yodles ambiants.

J'ai un garage, un gros garage!
La suite est très intéressante, surtout pour comprendre un phénomène qui - s'il ne mourra peut-être jamais - prend des formes différentes au fil des siècles.
Bob montre avec fierté son repas de traiteurs aux invités extasiés devant la « bonne » nourriture.
De nos jours, il existe une sorte de démocratisation de la nourriture, toutes les classes sociales ayant accès à des blogues culinaires, à des émissions de télé consacrées aux recettes saines, à des conseils gratuits de grands chefs, à des livres de cuisine à bas prix et en quantité industrielle. Tout le monde a entendu parler de la bonne cuisine et des repas santé. Mais cela reste très récent dans l'histoire de l'humanité, peut-être que cela remonte à dix ou quinze ans tout au plus. Oui, vous avez bien lu : la culture culinaire des élites est désormais accessible au peuple! D'ailleurs, beaucoup d'entre eux le « dénoncent ». Que veut-on : les élites se plaignent du supposé manque de culture du peuple, et dès que le peuple apprend la « grande » culture de l'élite, cette dernière se plaint encore... Tout cela pour dire que dans les années 1980, ce n'était pas encore le cas, il faut donc se remettre dans le contexte de l'époque pour bien saisir cette scène, et tout ce qu'elle évoque d'indécent, voire de malsain.
Bob présente son réveillon tropical composé de mélanges entre les cuisines québécoise et hawaïenne, qui semble tout à fait dégoûtant. Quelques recettes pour vous mettre l'eau à la bouche... ou pas :
- un ragoût de pattes de homards avec des boulettes devenues des kiwis ;
- une tourtière tutti fruitti
- des fêves au lard ukulélé
- une bûche de palmiers Blue Hawaï (comme le film avec Elvis Presley...)
Les invités sont tout à fait impressionnés, et louange le chef tout en se remplissant la panse dans un plat présenté par un serveur chinois totalement ignoré des festoyeurs.



Ensuite, Bob se fait un sandwich à la sauce « ben » piquante. Pour ce faire, il prend le couteau de l'avaleur de sabres juste à côté de lui, et le plonge dans le condiment avant de le remettre en place. Le pauvre homme se brûlera le fond de la gorge avec ledit couteau. Il s'agit de la première « agression » indirecte de Bob à l'encontre de ce personnage, dont la seule cause reste l'idiotie...


Puis, Bob discute avec des hommes d'affaires vulgaires, je vous épargne la conversation. Mais on retrouve aussi dans ce moment la deuxième agression de Bob contre le saltimbanque : il branche en effet par accident une sorte de batteur de cuisine électrique qui déchiquette la gorge du pauvre homme.

Subtile caméo de Falardeau.

Puis on retrouve Bob, Linda et d'autres bourgeoises discutant autour d'une table. Ils causent régimes, cures d'amaigrissement, conférences de cuisine santé, le tout provenant des États-unis et étant très cher, évidemment. « Ils l'ont-tu l'affaire les Amaricains » de dire Bob, presque en parodie des précédents films.

Soudain, troisième attaque surprise contre l'amuseur publique! Tandis qu'il avale un globe au néon, Bob le frappe par accident au ventre en essayant d'ouvrir une bouteille de vin pour les gentes dames.



Des politiciens et le chef de police viennent discuter avec Bob. On apprend que cette réception a des saveurs politiques pas très honnêtes. Bob se vante de nourrir un journaliste avec du campagne et des homards. Qui sait, si ce dernier marche au pas, peut-être deviennera-t-il éditorialiste? Le maire donne un cigare, et Bob s'empresse d'aller l'allumer avec le feu de l'avaleur... alors que celui-ci là dans la bouche.


Bob rejoint une bourgeoise et un curé, et ils médisent ensemble sur la jeunesse idéaliste. Voici un extrait.

Bob : Veux-tu que j'te donne un exemple. L'autre soir, on revenait du château Champlain avec Lalonde, tsé. On avait pris son Cadillac, pis on arrête à une lumière rouge. Y'a un pouilleux, là, qui traverse la rue. Ils nous regarde, pis y crache sur le caddy. Pourquoi? On n'lui avait rien fait nous autres!
Une bourge : Moé, c'est pareil avec ma femme de ménage, la p'tite Portugaise. J'avais un rendez-vous d'affaires, elle était en train de frotter mon set en argent flashing shadow, j'y d'mande d'aller faire trimer le budull. Pis elle se met à crier après moé. Comme si j'avais pas assez de troubles au bureau. Eille, j'te dis que j'm'ennuie de mon Haïtienne. Jamais un mot plus haut que l'autre.

Enfin, Bob, qui tenait à la main une brochette d'aliments de son choix, se cherche du feu pour faire griller le tout. Bien entendu, il jette son dévolu sur le cracheur de feu. Mais ce coup-ci, le saltimbanque est bien décidé à ne pas se laisser faire. Il crache son feu au visage de son bourreau d'idioties!


Je suis peut-être bon public, mais cette scène me fait toujours autant rire.
Scène 3 : Nouvelle scène, nouvel endroit. Bob Gratton redécore son garage, construisant une grande crèche chrétienne. Il a une idée géniale pour « vendre du gaz » : représenter tous les personnages de la Nativité par une figure d'Elvis Presley!
À noter que cette scène offre la premiere apparition du beau-frère Méo, personnage qui deviendra récurrent dans la saga Elvis Gratton.


Scène 4 : Bob veut offrir une bicyclette stationnaire à son épouse Linda pour Noël. Il l'emballe donc, mais sans le mettre au préalable dans une boîte. Oui, il met le papier directement sur le vélo en se demandant pourquoi l'emballement est si difficile!...

Scène 5 : La Fée des étoiles parlent à un public d'enfants accompagnés de leurs parents. Elle parle au nom de l'Association du comté, et invite le maire déguisé en Père-Noël à venir sur la scène.
Le maire: Ce qu'on ferait pas pour aller chercher des votes.
Bob: Bonne chance monsieur le maire.
Le maire: Ho! Ho! Ho! Bonjour les petits amis! Ho! Ho! Ho! Imaginez-vous donc que j'arrive du Pôle Nord. Ho! Ho! Ho! J'ai reçu toutes vos lettres. Ho! Ho! Ho! Comme vous voyez, je vous ai pas oublié. Moi, mes promesses, je les ai toujours tenues. Ho! Ho! Ho! Ce que vous m'avez demandé, je vous l'ai toujours donné.

Son discours camoufle à peine ses ambitions électorales.
Durant ce temps, Linda emballe le ventre rebondi de Bob sous du ruban adhésif afin que ce dernier puisse entrer dans son célèbre costume d'Elvis!

Le maire: [...] Des jobs! Oui, cent mille jobs! Ho! Ho! Ho! Mais pour ça, il faut être sages... il faut rester tranquilles. Moi pis mes lutins, on travaille fort à l'année pour tous nos petits amis du comté. Ho! Ho! Ho! Pis en attendant de se partager le gâteau, on va vous distribuer des candys pis des nananes! Ho! Ho! Ho!

Elvis Gratton, le ventre rentré de force dans son vêtement, se précipite sur la scène au son de la musique. Mais... ne pouvant respirer, il meurt sous les appaludissements, en dansant comme Elvis sur le déclin, c'est-à-dire couché sur la scène!


Scène 6 : Bob est décécé! Trois jours plus tard, ce sont ses funérailles où tous viennent le pleurer.


Linda le pleure aussi, mais finit par rire en se remémorant les imbécilités passées de son défunt mari (dans l'avion, avec le spaghetti, à la soirée hawaïenne, etc.)

Après que Méo eut échappé le cercueil...
Scène 7 : Une voix crie aux porteurs de drapeaux et à la fanfare qui ouvent la marche funèbre : « à gauche! tournez à gauche! »
Linda pleure toujours son regretté époux, lorsque soudain, du cercueil transporté par des ersatz d'Elvis, jailli Bob Elvis Gratton, vivant!


Bob est ressucité! Et comme le dira Falardeau dans Elvis Gratton II : Miracle à Memphis, la bêtise ne mourrant jamais, Bob ne peut pas mourir! Oui, Bob est le symbole falardien de la bêtise bourgeoise fédéraliste sous toutes ses formes, c'est pourquoi le réalisateur nous a offert son opinion et sa vision des choses sur le sujet à travers lui.


L'inscription Peuple à genoux attends ta délivrance s'incruste dans l'écran. Oui, peuple, reste à genoux en attendant une délivrance qui ne viendra peut-être jamais, ou alors, lève-toi et change les choses! C'est l'ultime message de ce film, de ces longs métrages, de cette saga qu'est Elvis Gratton. D'ailleurs, Bob a soudain les vêtements bleus, la couleur politique de Falardeau, un souverainiste militant pour les deux ou trois qui l'ignorent encore. ;)

Mon appréciation
Dans ce troisième volet, de très bons gags ont été mis en scène, et Bob nous a montré son côté corrompu, américanisé et idiot plus que jamais. L'image et le son demeurent toujours aussi laids, mais pour un personnage principal si dégoûtant, on peut dire que cela fait presque concept.

Falardeau a réalisé Elvis Gratton : Le King des Kings (les trois courts métrage assemblés) dans le but de faire réfléchir, et de relancer les débats de société afin que jamais le peuple ne cesse de s'indigner, de porter réflexion, de vouloir avoir mieux. Sa façon de faire fut certes maladroite, mais toujours touchante et sincère. Et si Bob nous a paru caricatural, et si les ficelles nous ont semblés énormes, demandons-nous combien de Bob Gratton nous connaissons nous aussi, et s'ils sont si différents de ce personnage. Certains de ces êtres ne sont-ils pas aussi gros qu'une caricature d'eux-mêmes? Peu importe la réponse, l'important, c'est d'y réfléchir. Sous cet aspect, Elvis Gratton demeure actuel plus que jamais. Il n'est donc pas surprenant que ce personnage ait eu droit à deux autres longs métrages et à une série télévisée (qui ne fut pas écrite par feu Faladeau...), mais aucun de ces autres « Gratton » ne fut comme le premier, aussi dégoulinant de bêtises, aussi ringard, aussi borné, aussi... attachant. Car la principale qualité de ce film demeure la façon dont on s'attache à un personnage aussi méchant grâce à son sens de l'humour. On rit autant que l'on s'indigne. Et ça, c'est bien.

Ya! Ya!

vendredi 11 mars 2011

Les Vacances d'Elvis Gratton - par Pierre Falardeau


Les Vacances d'Elvis Gratton est le deuxième court métrage d'une série de films mettant en scène l'anti-héros, Bob, dit Elvis, Gratton.
Les trois premiers courts métrages furent réunis en un seul film sous le nom d'Elvis Gratton : Le king des kings.
L'analyse du premier court métrage se trouve ici.
L'analyse du troisième se trouve juste ici.

Coréalisés, scénarisés et montés : Pierre Falardeau et Julien Poulin
Avec : Julien Poulin, Denise Mercier, Pierre Falardeau
Année : 1983
Durée : environ 27 minutes

Résumé
Bob Gratton remporte un concours d'imitation d'Elvis Presley, et gagne ainsi un voyage au pays fictif de Santa-Banana. 

Tout comme le film précédent, ce court métrage d'une vingtaine de minutes est intéressant à analyser scène par scène, détails par détails.

Scène 1 : Le film commence immédiatement dans la continuité du court métrage Elvis Gratton qui le précède. Bob a terminé sa chanson, il attend sur scène que l'animatrice annonce le nom du grand vainqueur et gagnant du voyage à Santa-Banana. Elvis Wong, le chinois du premier petit film, se tient à côté de Bob, qui le regarde avec un mépris xénophobe certain. Puis, le verdict tombe : Elvis Gratton est le grand gagnant!
Disons-le tout de suite : Santa-Banana évoque l'expression politique « une république bananière », qui n'est autre qu'une dictature déguisée sous le manteau de république constitutionnelle, bref une sorte de gouvernement fantoche généralement situé en Amérique Centrale. Mais vous savez quoi? Bob s'en fout. Il veut juste se dorer la couenne sous le soleil du Sud.

Scène 2 : Bob et sa femme Linda arrivent à l'aéroport, vêtus de gros vêtements de fourrures ridicules, mais mangeant de la crème glacée... Ils vont se changer, louant des casiers pour leurs habits hivernaux. Hélas, Bob manque de sous. Pressé par le temps, il se rend donc en toute hâte au distributeur de monnaie qui ne fonctionne pas sur le coup... jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'un black guy se trouve à l'intérieur! Mais que faisait-il là? Il travaillait, pardi! C'était lui qui échangeait les billets contre des pièces! C'est que les immigrants ne choisissent pas vraiment leur emploi! Mais qu'à cela ne tienne, le prolétaire aura sa revanche : Bob se rendra ridicule en se battant avec ses vêtements pour les faire rentrer dans le minuscule casier, oubliant de laisser un espace pour ses énormes bottes de poils!!
Pas d'panique, tabarnak!
Oh non! mes bottes!
Scène 3 : Dans l'avion, Bob danse en perdant ses pantalons, en pas-de-classe qu'il est. Il se rassoit pour discuter avec un voisin de siège qui ne veut manifestement pas lui causer. On apprend tout de même que cet homme travaille dans le monde de la lutte.
« Moé, j'ai un garage, un gros garage », lui répondra Bob, tout fier, en écho au court métrage précédent.
Coïncidence, tous les deux séjourneront à l'hôtel El Colonial.
Mais le plus intéressant est à venir.
Après avoir chanté « alouette » en choeur avec les autres passagers, un Français l'interpelle.
- Pardon, vous être Canadiens, demande-t-il. Vous avez l'accent.
C'est ici qu'intervient une des plus célèbres répliques du cinéma québécois. Une réplique à pleurer de désespoir tant le problème identitaire des Québécois y est montré de façon alarmante.


- Je vois, répondra le Français atteint de strabisme.

Cette scène se conclut sur le dentier argenté d'une hôtesse de l'air, et sur la musique célèbre des Dents de la mer...

Scène 4 : ...alors que celle-ci commence sur la même musique, montrant un soldat armé marchant sur une plage bondée de touristes en bikini. Pas de doute, nous sommes bien à Santa-Banana. Il fait chaud. Bob et Linda s'installent avec tout leur attirail de vacances, et leurs costumes de bain du Canada. Bob doit déplier sa chaise de plage, mais se servir de sa tête ne semble pas être son fort (je suis gentille, je vous refile un lien vers ce passage hilarant de stupidités). Comme le couple a oublié leurs cassettes de musique d'Elvis Presley, Bob et Linda décident d'écouter des enregistrements de vieilles parties de Baseball (vous savez, ce sport américain par excellence dont Bob porte un emblême sur sa tête... celle des Expos de Montréal!). Ensuite, moments de baignades entrecoupés de rigolades sur le sable! On en oublie presque les soldats armés en arrière-plan...


Scène 5 : Malades (tourista + coups de soleil assez profond), les amoureux se reposent dans leur chambre d'hôtel à deux étages. Bob décide de regarder la télévision locale.

La première émission montre un prédicateur anglophone (Pierre Falardeau en caméo) exaltant la religion protestante fondamentaliste. Bob est pris malgré lui d'une crise de vomissement durant ce moment.

Puis, Bob zappe à une émission où l'on voit le dirigeant du pays, Augusto Ricochet, un homme ressemblant à s'y méprendre à Augusto Pinochet...
Ricochet explique donc devant le drapeau états-unien que dans sa République de bananes, il n'existe pas d'exploitation. Il travaille avec Washington et le Pentagone après tout... Il déclare ensuite la guerre aux communistes! Vous savez, ces anti-capitalistes qui mettront fin au Coca-Cola, au base-ball, à Mickey Mouse, à Elvis Presley, à Hollywood et à Miami! Bob semble approuver chacun de ces mots. Quant à Linda, elle est trop occupée avec une crise de flatulences pour vraiment porter attention.

Banana or muerte! 

Scène 6 : Des enfants soldats menacent un homme à la peau noire, enchaîné et emporté on ne sait où. Bob et Linda passent à côté de ce groupe en vélo en sifflotant. Tout ce que Bob trouve à dire, en observant le paysage : « J'te dis qu'ils appellent ça Santa-Banana, mais y'a pas grands bananes après les palmiers ». Oui, il ne se rend vraiment pas compte que le peuple ne possède rien, le pays étant une dictature déguisée...
Peu de temps après, le couple croise un quêteur sur le bord de la route de terre. L'homme est mort, probablement de faim, debout sous le soleil. Le tandem réagit comment? En se sauvant en vitesse.

Puis, tout en continuant de rouler en vélo, Bob et Linda commentent ce qu'ils voient.

Bob: Faut-y être assez sans-dessein, hein. Pauvres de même, pis avoir une trollée d'enfants. R'garde, elle est encore en balloune!
Linda: Ils rient tout le temps, j'te dis qu'y ont pas l'air de s'en faire avec ça.
Bob: Tiens, un cochon qui rentre dans la maison!
Linda: C'est-y écoeurant!
Bob: Plus ça pue, plus y'aiment ça vivre dans l'marde! J'te dis que c'est pas comme aux States.
Linda: Ouin. En Floride les chambres d'hôtel sont plus belles.
Bob: Pis y'a pas de coquerelle à part de ça! Tiens! Yé deux heures pis y'a personne su'a route. Ha! Tout le monde est couché. Y'appelle ça la sieste. Ha!

Soudain, ils voient un pauvre homme transportant une charge lourde sur son dos. Leur réaction cette fois-ci? Bob demande à Linda de le prendre en photo avec ce rigolo de Santa-Banana!

Scène 7 : La transition se fait sur une photographie prise sur le bord de la plage, où le couple s'amuse à faire du surf.
La suite de cette scène est peut-être celle dont la signification m'échappe le plus. Bob danse devant tout le monde - dont sa femme - avec une danseuse exotique qui finit par donner des coups de pieds en dansant à ce gros pervers, et à le mettre à terre alors qu'elle élève les bras, victorieuse.
Est-ce la revanche des femmes sur les hommes? Ou celle d'une personne prise dans un réseau de prostituiton crée par des bourgeois à la fois riches et avares (une vingtaine d'années après la sortie du film, il a été découvert que le Canada était à la source de l'immense réseau de prostitution en République Dominicaine - un réseau pour ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre en Nouvelle-zélande). Bon, rien n'indique que cette femme est une esclave sexuelle, mais ses formes généreuses et sa danse en bikini peuvent l'évoquer ou le symboliser.
Ou juste celle d'une personne élégante, pleine de charmes et de beautés qui bat, « surclasse », une personne vulgaire, perverse, grossière et stupide?


Scène 8 : Bob joue au golf, sport de riches par excellence. Malheureusement, ce dernier n'y excelle pas...

Scène 9 : Bob et Linda croisent un garçon qui vend des souvenirs aux touristes, des oiseaux empaillés d'une espèce très rare qui n'est possible d'être chassée que durant la saison des amours sur les montagnes de Sana Valentino après quatre jours de marche dans la jungle. Seul le mâle peut être capturé, avec des fleurs et du chocolat, alors que le chasseur imite le chant d'amour de la femelle. Attiré, le mâle en érection se fait tuer par les chasseurs par strangulation testiculaire... En même temps que le môme débite son laïus sur cette méthode de chasse, on peut voir que ces oiseaux sont en réalité des rats écorchés, peints et couverts de plumes.
Gratton l'achète pour ten dollars.

Scène 10 : Bob et Linda jouent sur la plage à un espèce de jeu de fléchettes qui a été retiré du marché depuis (Edit : j'ai appris depuis que ce jeu se nommait Lawn Darts), on comprend pourquoi en regardant ce court métrage : Linda passe à deux cheveux de tuer Bob en lui envoyant une fléchette dans le crâne. Mais il faut croire que ça prend un cerveau pour mourir d'une telle blessure, car Bob se remet vite. Un bandage autour du crâne, il commande un cocktail au bar de la page : « Heille Pedro! And for me amigo, la pinata di bravo, and you remember me hein, with a lot of rhum. Muchas gracias Pedro! ». Linda, quant à elle, boit un espèce de brevage bizarre à la banane qui ressemble à s'y méprendre à.. au... bien, regardez parmi les images ci-dessous devrait donner une bonne idée de ce à quoi ça ressemble. Bob regrette de ne pas pouvoir rester plus longtemps, alors que Linda s'ennuie de ses émissions télé quotidiennes. Il est bien vrai que Bob aurait bien envie aussi de jouer au bowling avec ses amis. Puis, tout le monde surprend Bob en se mettant à chanter : Happy birthday Elvis! C'est un anniversaire surprise en son honneur! Bob est content.
 


Scène 11 : Tous les touristes sont de retour au pays, à l'aéroport, Bob et Linda en tête. Un douanier bilingue qui ne parle qu'anglais (...) les accueille avec ses formulaires. On remarque que Bob et Linda sont vêtus de rouge avec de gros chapeaux, et ressemble étrangement à l'homme de la police montée (le symbole canadien-anglais par excellence) venue les accueillir à grand renfort de Welcome home!
Le film se termine sur la musique de l'hymne national canadien, et sur l'image du dictateur Augusto Ricohet qui rejoint le policier et semble s'être lié d'amitié avec lui. Il porte la même tenue, indiquant par le fait même qu'il fait partie de la famille.


Bref,
Les vacances d'Elvis Gratton est largement supérieur au premier court métrage en ce qui concerne le rythme et les gags. L'image et le son demeurent toutefois tout aussi vieux, ou plutôt, mal vieilli. Mais il faut dire que le budget fut excessivement restreint (comme c'est toujours le cas avec les films de Falardeau). Ce film fut malheureusement mal compris, étant parfois qualifié de seul production « non-politique » de Falardeau, ce qui est complètement faux, comme nous avons pu le voir dans l'analyse descriptive des scènes, une analyse qui parle d'elle-même. Mais certaines gens, je pense, ne doivent voir que le côté comique d'Elvis Gratton, et en oblitérer, de façon volontaire ou non, le côté presque subversif (mais on aime les film subversifs sur ce blogue ^^). Comme dans tous les autres films de la série cinématographique d'Elvis Gratton, l'attitude bourgeoise, l'américanisation et l'aliénation sociale des québécois colonisés demeure au centre même de l'intrigue, plage exotique ou non.

mercredi 9 mars 2011

Elvis Gratton (1er court métrage) - par Pierre Falardeau

Elvis Gratton est le premier court métrage éponyme d'une série de films mettant en scène l'anti-héros, Bob Gratton, dit Elvis.
À noter que les trois premiers courts métrages furent réunis en un seul film sous le nom d'Elvis Gratton : Le king des kings
L'analyse détaillée du deuxième court métrage, Les vacances d'Elvis Gratton, qui est la suite de ce présent, se trouve ici. La troisième adaptation, Pas encore Elvis Gratton, se trouve quant à elle juste ici.
Coréalisés, scénarisés et montés par Pierre Falardeau et Julien Poulin
Musique : Aaron King.
Avec : Julien Poulin, Denise Mercier, Pierre Falardeau
Année : 1981
Durée : 28 minutes
Prix : Meilleur court métrage de fiction au Festival de Lille 1982 en France (Elvis Gratton, 1981), Prix Génie Award 1983 (Toronto)

Résumé
Bob Gratton, un garagiste vulgaire et un bourgeois fédéraliste, a une passion certaine pour Elvis Presley. Il ambitionne de devenir le meilleur imitateur du King.

Ce court métrage d'une vingtaine de minutes est intéressant à analyser scène par scène.

Scène 1 : Le film s'ouvre sur une épicerie. Une musique d'Elvis jointe à un rire insupportable (que l'on identifiera plus tard comme étant celui de Linda) donnent le ton : ici, toutes les classes sociales et d'âges se côtoient, dans la médiocrité et l'hypocrisie (nord-américaine?). Mais chacun possède une caractéristique qui le rend unique.

Scène 2 : Bob Gratton apparaît pour la première fois. Il est au téléphone : il prévoit un voyage à Las Vegas. Il est vêtu d'un peignoir rouge dans le salon de sa demeure bourgeoise et ringarde (disons qu'elle est très typique de la fin des années 1970, début 1980), mais surtout très américanisée. Face à plusieurs miroirs, Bob s'amuse à imiter son idole, Elvis Presley.

Scène 3 : Le couple Linda/Bob mangent un « spaghatt' » à la sauce tomate en buvant du coca cola dans la cuisine à la décoration bourgeoise et fédéraliste (une affiche du « Non » sur le frigo). Le téléviseur diffuse un concours d'imitation d'Elvis. Soudain, Bob se fâche : un chinois participe au concours! Il déverse sa hargne contre tous les étrangers voleurs de jobs... avant de retourner le tout contre les « Canadiens Français ». L'idéologie fédéraliste canadienne refuse donc le nom même de Québécois, et ne peut que les traiter de tous les noms (de lâches, d'égoïstes, de paresseux, de jaloux, de sans-desseins, de mangeux d'marde...) Bob insulte sa famille qui n'est pas présente (en l'occurrence, Méo, le frère de Linda) dans la même veine, afin d'appuyer son propos, comme si l'anecdote prouvait tout.
Puis, on conclut le discours sur une valorisation de l'ailleurs... des États-Unis : « Si c'était rien que de moé, j'partirais aux States. J'vendrais toute icitte, pis j'm'achèterais un beau condom-mignonne. J's'rais ben là-bas. Parce qu'eux autres, ils l'ont l'affaire les Amaricains. R'garde Elvis. Lui, il l'avait ».
Inutile de dire que le manque flagrant de vocabulaire du personnage rend toute cette scène ridicule.
À noter que l'expression « il l'ont l'affaire les Amaricains » sera reprise dans les autres films par la suite, devenant culte.

Scène 4 : Bob et Linda lave la voiture, un van. TOUT est ringard dans cette scène, de la musique d'Elvis à l'immense véhicule en lui-même à qui Bob fera « l'amour » discrètement. Les freudiens avaient-ils raison en disant que la taille d'une automobile donne un semblant de virilité masculine à plusieurs hommes?
Le couple montre vraiment sa bourgeoisie de nouveaux riches.

Scène 5 : En sous-vêtement dans la cuisine, Linda prend les mesures de son époux afin de coudre un costume d'Elvis. Bob promet de faire de l'exercice pour perdre son excédent de poids avant le concours d'imitation. Il précise tout de même qu'il veut un costume rouge, pendant qu'on voit sur le mur une pancarte fédéraliste...

Scène 6 : Bob cherche une fontaine en buste d'Elvis Presley dans le garage de la maison. Il met cet icône de la ringardise dans la cour arrière, bien entouré de clôtures toutes nord-américaines, près de la piscine bien entretenue.

Scène 7 : En train de rouler dans le mini-van, Bob, manquant toujours de classe et de tolérance, hurle par la fenêtre : « Va te faire couper les cheveux l'pouilleux! »
Immédiatement après, il embarque une étudiante qui faisait de l'auto-stop sur le bord de la route. L'intention de Bob est claire : il veut des rapports sexuelles. Mais la jeune femme ne l'entend pas ainsi, tentant de détourner la conversation.
- Vous faites quoi , vous, monsieur, dans la vie?
- J'ai un garage, un gros garage.
Bob persiste : la jeunesse ne pense qu'au sexe selon lui. Après tout, les jeunes ne sont que des hippies, des drogués, des pouilleux. Il propose à la fille de se prostituer, mais cette dernière se sauve.

Scène 8 : Visuellement très drôle, cette scène montre Bob qui s'entraîne au gym (made in 80'). À noter le moment où Bob, grassouillet, se change à côté d'une statue africaine rachitique, fort de signification sur le mode de consommation nord-américain.

Scène 9 : Une scène pseudo-érotique dans le salon entre Bob chantant du Elvis et Linda étendue en princesse sur le divan. Monsieur se croit virile en poussant un cri de « tarzan ». Moment ridicule du début à la fin, mais le couple ne semble pas s'en faire avec cela outre mesure.

Scène 10 : Bob se brosse les cheveux. Bien entendu, il tente de se coiffer comme Elvis.

Scène 11 : Le moment le plus important du film.
Ici, un personnage interprété par Pierre Falardeau, vêtu de bleu (= souverainiste), photographie Bob vêtu de rouge (= fédéraliste). Le dialogue est éloquent sur la connerie intérieure du petit King, et sur la corruption gouvernementale - surtout si l'on prend en compte les détails visuels de cette scène.


Photographe: Hé Bob! On ne t'a pas vu au dernier meeting de la chambre de commerce.
Bob: Non...
Photographe: Le chef de police est venu demander de l'argent pour son tournoi Pee-Wee. Vas-tu encore donner un trophée cette année? 
Bob: Ben oui, ben oui, c'est sûr, voyons.
Photographe: En tout cas, oublie pas, c'est Jacques qui fournit la bière cette année.
Bob : Heille, qu'est-ce qui arrive avec ton contrat avec la commission scolaire?
Photographe: Ça avance, ça avance. Justement, j'ai vu Lepage à l'Assemblée. Je lui en ai glissé un mot. Tout est correct.
Bob: Pis, notre projet de centre d'achat?
Photographe: Ça va passer. Ça va passer. Ça m'a coûté assez cher, Christ. Paraît qu'il va falloir faire charger le zonage. Mais avec Groleau à l'Hôtel de Ville, pas de problème.
Bob: À propos de Groleau, j'ai su qu'il voulait se présenter au provincial. Va falloir absolument paqueter l'Assemblée. Pis on va avoir besoin de monde pour vendre des cartes de membre.
Photographe: Ça s'est un maudit bonhomme, Groleau.
Bob: Faut absolument qu'il passe sur la convention, si on veut avoir une chance d'se débarrasser d'cette gang d'barbus pis de socialistes.
Photographe: Va donc un p'tit peu plus à droite mon Bob. C'est ça!
[Première photographie : elle ne ressemble pas à Bob tel que nous le voyons].
Bob: Ça fait assez longtemps qu'ils rient de nous autres, il faut arrêter ça.
Photographe: Encore plus à droite.
[Deuxième photographie : elle montre Bob jouant de la guitare sur un air ridicule, alors qu'il voulait se donner une apparence de grandeur].
Bob: C'est fini ça, les Séparatistes. Va falloir les mettre au pas, eux-autres pis leurs chums : les unions pis les professeurs qui endoctrinent les jeunes dans nos écoles.
[Les photographies donnent un air idiot à Bob].
C'est fini, ça, l'avortement. Le Bien-Être social, on va mettre un stop à ça. Pis la loi 101, Christ!
Photographe: Euh, essaie donc avec les lunettes, mon Bob. Ça devrait être pas mal.
Bob: C'est certainement pas eux-autres qui vont venir me runner dans mon magasin, pis c'est  pas eux-autres qui vont m'empêcher d'envoyer mes enfants à l'école anglaise si j'veux, okay? Yeah!
Photographe: C'est ça. C'est ça.
Bob: Moi, ch'uis écoeurer d'faire vivre les chômeurs pis les assistés sociaux avec mes taxes. Si y'en veulent de l'argent, Christ, qu'ils fassent comme moé pis qu'y travaillent!
Photographe: Essaie donc ça à genoux, voir? Okay, c'est ça.
[Bob se met à genou, et la photographie montre son menton].
Bob: Si y'en veulent des jobs, va falloir arrêter de cracher sur les amaricains qui veulent venir investir icitte. C'est nous autres ostie l'entreprise privée qui fait vivre l'pays.
[Photo de Bob à genoux, tel un prédicateur].
Photographe: C'est ça, mon Bob, c'est ça.
Bob: Ben qu'arrête de nous mettre le bâton dans les roues, okay. Leur histoire d'Indépendance, c'est des folleries, ça. Faut arrêter de se poser des questions.
Photographe: Bouge pas mon Bob. Bouge surtout pas.
[Bob voulait prendre une pause pensive, mais encore une fois le résultat est raté].
Bob: Le Canada, c'est le plus beau pays du monde. C'est le plus riche, le plus libre. Ben si sont pas contents, qu'ils aillent donc vivent à Cuba. De toute façon, moé, j'veux pas perdre mes Montagnes Rocheuses. Pis des pauvres, y'en aura toujours.
[La photographie montre Bob en train de faire un signe ressemblant au salut hitlérien].
Photographe: C'est ça!
Bob:
Tu vas voir qu'avec Groleau, on va mettre de l'ordre là-d'dans. C'est ça qui manque, aujourd'hui, l'ordre. De l'ordre. On va savoir une fois pour toute où c'est qu'on s'en va.
[Bob tient son micro vers l'extérieur tandis qu'un violent bruit de photographie se fait entendre. Cela peut évoquer une arme et un coup de feu].
Les révolutionnaires, on va leur mettre un peu d'plomb dans l'tête. Faut être réaliste, câlisse.
Photographe: C'est ça, c'est ça, mon Bob.
Bob: Ils vont arrêter de jouer aux fous avec nous autres. Ils m'empêcheront pas de vivre, moé. Pis avec Groleau, m'a l'avoir mon permis de bière! Yeah!

Scène 12 : Bob Gratton, costumé en Elvis, participe au concours amateur d'imitation du King. Durant ce temps, on revoit l'épicerie du tout début (scène 1). Ce sont les mêmes personnages qu'au tout début, mais tous portent maintenant un masque d'Elvis, leur donnant un visage identique. Emportés par la musique chantée par celui qui se nomme désormais Elvis Gratton, certains d'entre eux, dont le technicien du son, dansent ensemble! Tous sont identiques. Américanisés.

Fin.


Le premier film d'une longue série reste un petit bijou, non seulement de la filmographie de Falardeau, mais aussi du cinéma québécois. Malheureusement, je déplore aussi que ce soit celui qui a le plus mal vieillit parmi la saga, du fait de ce rythme lent, trèèès lent, trooop lent, et de ce son « boîte de conserve ». Toutefois, je ne déplore pas les décors : leur ringardise procure un petit côté rigolo dénonçant aussi l'attitude des bourgeois désirant à tout prix suivre les modes malgré leur éphémérité. Le discours sous-jacent, quant à lui, demeure actuel (et c'est peut-être ce qui fait peur). C'est d'ailleurs un film que les élites ont voulu démolir à tout prix, ne supportant la critique de leur mode de vie.
Un film à regarder au moins une fois dans sa vie, mais à voir et à revoir pour en comprendre toute la profondeur.